Studebaker Avanti 1963-64 : un sublime fiasco

Pour sortir d’une situation difficile, les équipes de Studebaker devaient tenir des délais impossibles. L’Avanti a été dessinée en quelques semaines et conçue en quelques mois. Mais les coffres de la marque étaient déjà trop vides pour qu’elle puisse arranger quoi que ce soit…

Le lendemain de la Seconde Guerre mondiale n’a pas été tendre pour les constructeurs indépendants. Les trois grands de Detroit vont imposer un rythme effréné de changements annuels et de moteurs toujours plus puissants. Pour survivre, les plus petits vont devoir s’associer : Nash et Hudson fusionnent en 1954 pour devenir American Motors tandis que Studebaker et Packard lient également leur destin la même année. Toutefois, au lieu de produire les synergies désirées, cette association accélèrera la fin de Packard (de son pic de production de 115 011 exemplaires en 1949, la marque ne fabriquera que 2 622 véhicules en 1958, essentiellement des Studebaker restylées) et détériorera encore un peu plus la situation financière de Studebaker.

Le pape du design industriel

Studebaker a été fondée en 1852 par les 5 frères Studebaker pour assurer la fabrication de chariots et de harnais. Elle vient à la construction d’automobiles électriques en 1902 et passe aux modèles à essence en 1904. À la sortie du conflit mondial, la marque de South Bend, Indiana, est parmi les premières à présenter une toute nouvelle gamme pour le millésime 1947. Le style élégant de ces modèles est réalisé par Loewy and Associates, une firme de design industriel qui collabore avec Studebaker depuis 1936.

Photo: Studebaker

L’homme derrière la firme de design s’appelle Raymond Loewy et est l’un des personnages clés de l’histoire de l’Avanti. Né à Paris en 1893, il arrive à New York avec 40 $ en poche en 1919. Il est dans un premier temps illustrateur dans le milieu de la mode. C’est en 1929 qu’il reçoit son premier contrat de design avec la compagnie Gestetner. À partir de là, il va multiplier les collaborations et travaillera dans de nombreux domaines : trains, autobus, intérieurs d’avions, emballage (Lucky Strike), logos (son plus connu est celui de Shell), objets intérieurs, réfrigérateurs, monuments… Il réalisera le restylage de la bouteille de Coca-Cola en 1954 et collaborera même avec la NASA pour l’intérieur des Saturn I, Saturn V et SkyLab. John F. Kennedy l’appellera pour dessiner l’habitacle d’Air Force One et il sera aussi responsable de l’intérieur du Concorde. Gestionnaire hors pair, grand découvreur de talents, Loewy a également un don indéniable pour l’autopromotion. Il fera, par exemple, la couverture de Time Magazine en 1949. Après avoir travaillé pour plus de 200 compagnies, il se retire en 1980 avant de décéder le 14 juillet 1986 dans sa villa de Monte-Carlo.

Loewy s’intéresse à l’automobile dès 1930 en étant consultant pour la Hupp Motor Company. Il travaillera pour le groupe anglais Rootes dans les années 50, mais c’est Studebaker qui restera son principal client dans ce domaine (il maintiendra une succursale à South Bend, uniquement pour la compagnie). Les premiers modèles de la marque signés Loewy sortent au millésime 1939. Il planchera également sur les modèles 1941 avant que la guerre ne vienne tout arrêter. Ceux de 1947 sont dessinés par Robert Bourke et Virgil Exner pour le compte de Loewy. La collaboration continue pour les modèles 1953 (seulement par Bourke, Exner étant parti chez Chrysler en 1949) puis enfin pour les modèles Hawk de 1956. Les difficultés financières du constructeur limiteront ensuite l’implication de Loewy dans les futurs véhicules. Ce dernier réalisera plusieurs prototypes pour son usage personnel (dont une Cadillac 1959 très épurée).

Un sang nouveau

De 133 826 exemplaires en 1955, la production de Studebaker chute à 54 764 pour 1958. Les chiffres remontent dramatiquement en 1959 à 138 866 véhicules grâce au lancement de la compacte Lark. Mais l’accalmie sera de courte durée puisque les trois grands vont présenter leurs propres modèles compacts (Plymouth Valiant, Ford Falcon et Chevrolet Corvair). Très vite, Studebaker replonge dans le rouge.

Photo: Studebaker

C’est dans ce contexte peu reluisant qu’est nommé début 1961 un nouveau président à la tête de la compagnie en remplacement d’Harold Churchill. Grand, dynamique, Sherwood Egbert reçoit le mandat de diversifier les activités de Studebaker et de progressivement désengager la société du secteur automobile. Il vient de chez McCulloch, une compagnie qui produit des tronçonneuses et différents outils. Détail important pour la suite, McCulloch possède également Paxton, fabricant de compresseurs mécaniques, compresseurs déjà utilisés par Studebaker sur ses modèles Golden Hawk en 1957 et 1958.

Rapidement, Egbert se prend d’intérêt pour l’automobile et veut tenter de sauver l’activité. Il contacte Brooks Stevens, qui a déjà travaillé pour Studebaker et qui créera la marque Excalibur, pour effectuer le restylage des véhicules de série et Raymond Loewy pour développer un modèle d’image, capable de redorer le blason de la marque. Les deux hommes se parlent au téléphone le 9 mars 1961. Egbert veut que l’auto soit présentée au Salon de New York, en avril 1962. Pour cela, il faut que le style soit créé en seulement six semaines. Un délai quasiment impossible… que Loewy accepte, mais à certaines conditions. Il demande de réaliser le projet à Palm Springs, là où il possède une maison d’hiver, loin des interférences de South Bend. Egbert est d’accord. Initialement, il veut un modèle deux places mais Loewy le convainc qu’une quatre places a plus de potentiel sur le marché.

5 semaines!

Loewy recrute une petite équipe : Robert Andrews, Tom Kellogg et John Ebstein. Il loue une villa à Palm Springs et y envoie le groupe. Dans la maison, il débranche les téléphones, enlève les horloges et interdit toutes visites. À partir du 19 mars, le rythme de travail va être intense : 16 heures par jour. Loewy donne quelques directives : profil en « bouteille de Coke », beaucoup de lignes courbes et simples, pas de décorations inutiles. Il place sur les murs, comme source d’inspiration, des photos des trois prototypes qu’il s’est fait construire sur mesure : la Lancia Loraymo, la Loewy BMW (sur base de BMW 507) et la Loewy Jaguar (sur base de XK 140). Les trois hommes dessinent incessamment et réalisent des maquettes en argile. Loewy passe régulièrement pour voir l’avancement des travaux et donner ses impressions. Une calandre quatre phares est initialement envisagée mais elle n’est pas retenue pour des raisons de coût. Le 2 avril, Loewy s’envole pour l’Indiana avec une première maquette à l’échelle 1/8e. La direction de Studebaker est satisfaite et demande à ce dernier d’aller de l’avant. Pendant que l’équipe de Palm Springs continue de travailler, des modeleurs commencent une maquette pleine grandeur à South Bend. Le 27 avril, soit à peine plus de 5 semaines après le début des travaux, la maquette à l’échelle 1 est complétée et rapidement validée par Egbert. Enthousiaste, il demandera par la suite à Loewy de développer toute une gamme sur le style de l’Avanti. Des croquis de berline, de familiale et de coupés classiques seront réalisés. Deux prototypes seront même construits par le carrossier parisien Pichon-Parat mais rien n’ira plus loin.

Photo: Studebaker

Bob Doehler peaufine l’extérieur et commence le développement de l’intérieur. Celui-ci sera complété pour le mois de septembre 1961. Pour avancer, Doehler utilise des sièges d’Alfa Romeo Giulietta qu’il avait sous la main. Réalisant qu’ils allaient parfaitement avec l’habitacle, il en fera fabriquer des copies pour le modèle de série. Gene Hardig assure le développement de la partie technique. Pas question de concevoir un nouveau châssis, celui de la Lark cabriolet sur un empattement de 109 pouces (2,77 mètres) fera l’affaire. Les porte-à-faux avant et arrière sont modifiés. Hardig ajuste autant qu’il peut la suspension pour lui donner un caractère sportif avec, notamment, l’ajout de barres antiroulis à l’avant et à l’arrière. Il fait aussi installer, en première sur une auto américaine de série, des freins à disque avant fournis par Bendix. Il travaille également sur le moteur, le V8 de 289 pc (4,7 litres) dont les origines remontent à 1951. Dans la version de base R1, la puissance passe de 225 à 240 chevaux. Une deuxième version, baptisée R2, est développée avec l’aide de Paxton et reçoit un compresseur qui fait monter la cavalerie à 290 chevaux. Les boîtes proviennent de chez Borg-Wagner : manuelle à 3 rapports pour la R1 et manuelle à 4 rapports pour la R2 alors qu’une automatique à 3 rapports (avec 1er rapport à sélection manuelle) est disponible en option.

Photo: Studebaker

En avant… mais pas trop vite

Comme prévu initialement, l’Avanti est présentée au Salon de New York, en avril 1962. La direction de Studebaker avait à l’origine pensé nommer l’auto Packard (la marque n’existe plus depuis 1958 mais le nom est toujours enregistré) ou bien Pierce Arrow. Finalement, « Avanti » est sélectionné en mai 1961 et veut dire « en avant » en italien.

Mais la production a les pires difficultés à démarrer. En effet, pour économiser sur l’outillage et réduire le temps de développement, c’est la fibre de verre qui a été choisie comme matériau pour la carrosserie. Le contrat pour fabriquer les panneaux est donné à la Molded Fiberglass Products d’Ashtabula, en Ohio. Cette compagnie a une bonne expérience puisque c’est elle qui fournit la carrosserie de la Corvette à Chevrolet. Mais à cause des délais rapides imposés par Egbert, les moules ne sont pas bien construits et les 100 et quelques premières carrosseries livrées sont pratiquement inutilisables. Ceci obligera Studebaker à rapatrier la fabrication à l’interne, augmentant encore les délais. Ce n’est qu’en septembre 1962 qu’un nombre acceptable de véhicules sort des lignes de production. Ce retard empêche l’Avanti d’être le pace car aux 500 milles d’Indianapolis 1962, ratant ainsi un joli coup de pub. Les clients potentiels se sont lassés et, pour plusieurs, sont allés acheter une Corvette qui vient juste d’être restylée. La fiabilité des premiers modèles est très mauvaise. La production du millésime 1963 se solde à 3 834 exemplaires. Même s’il s’agissait d’une voiture de niche depuis le début, on est loin des chiffres envisagés par Egbert (celui-ci doit d’ailleurs quitter Studebaker en novembre 1963 à cause de gros ennuis de santé). Il faut dire qu’en plus des problèmes de délais et de finition, l’Avanti n’est pas donnée. À 4 445 USD / 6 891 CAD, elle est plus chère qu’une Chevrolet Corvette (4 252 USD / 6 601 CAD) ou qu’une Buick Riviera (4 333 USD / 6 563 CAD).

Photo: Studebaker

Expérimentations

Studebaker fait de nombreux changements en cours de production. Mais les modèles 1964 sont reconnaissables à leur entourage de phares carrés et non plus ronds. Puisque la compagnie est fauchée, les modifications se limitent à l’essentiel. Une option R3 est rajoutée. Grâce à un réalésage à 304,5 pc (5 litres), un taux de compression porté à 9,6:1 et de nouveaux collecteurs, la puissance monte à 335 chevaux. Seuls neuf exemplaires seront fabriqués (dont la toute dernière Avanti, une R3 blanche). Une variante R4, basée sur le R1 non compressé mais avec deux carburateurs quatre corps et un taux de compression de 12,0:1, développant 280 chevaux est également proposée en option mais aucune Avanti n’en a apparemment été équipée. Enfin, avec l’aide de Paxton, un moteur R5 expérimental est aussi construit. Il comprend de nouveaux arbres à cames, une injection Bendix, une lubrification par carter sec et non pas un mais deux compresseurs mécaniques. La puissance aurait été de 575 chevaux!

Photo: Studebaker

Rien n’y fait… L’Avanti n’est produite qu’à 809 exemplaires pour 1964. Pire, Studebaker arrête les chaînes dans son usine de South Bend en décembre 1963 et se replie sur son usine d’Hamilton, en Ontario.  Celle-ci fermera à son tour en mars 1966. Studebaker survivra sous d’autres formes mais concernant l’automobile, c’est la fin pure et simple. Si l’Avanti a raté sa mission, elle est aujourd’hui considérée comme un classique du design américain d’après-guerre. Juste retour des choses…

La deuxième vie de l’Avanti

Mais l’histoire ne s’arrête pas là! Le 1er juillet 1964, deux concessionnaires Studebaker de South Bend, Nathan Altman et Leo Newman, rachètent le nom, les droits, l’outillage et les moules de l’Avanti ainsi qu’une partie de l’usine désertée par la marque. Ils arrivent même à obtenir les services de Gene Hardig, alors proche de la retraite. Si la carrosserie en fibre de verre avait initialement été un talon d’Achille de la voiture, elle devient maintenant sa planche de salut car ce matériau est bien adapté à la petite série. La production reprend en 1965 sous le nom d’Avanti II. Le V8 Studebaker est remplacé par un 327 pc (5,4 litres) de 300 chevaux provenant de la Chevrolet Corvette. Les autos sont fabriquées sur commande, selon les spécifications du client. Le prix de départ est alors de 6 550 USD, soit plus qu’une Jaguar Type E. Hormis les nouveaux pare-chocs destinés à répondre aux normes fédérales d’impact de 1973, les modifications sont essentiellement au niveau des moteurs, toujours fournis par Chevrolet : 350 pc (5,7 litres) en 1970, 400 pc (6,6 litres) en 1972, retour au 350 pc en 1977 puis 305 pc (5,0 litres) à partir de 1981. La production dépassera pour la première fois les 100 exemplaires en 1969. À partir de là, les chiffres varieront entre 100 et 200 autos par année jusqu’en 1982. Parmi les clients, on retrouve Raymond Loewy qui achète un modèle 1972 pour son usage personnel.

L’entreprise est vendue en 1982 à Stephen Blake, un courtier immobilier de Washington D.C. Blake met la voiture à jour mécaniquement et esthétiquement (les modèles 1984 ont des pare-chocs en plastique couleur carrosserie, des phares avant carrés et le II de Avanti II est supprimé), réorganise la production, développe un cabriolet et investit dans un nouveau châssis avec des suspensions indépendantes aux quatre roues. De grandes ambitions, de grandes dépenses… et une faillite en octobre 1985. Michael Kelly, un entrepreneur texan, reprend la compagnie en 1986 et la rebaptise New Avanti Motor Corporation. La production, basée à South Bend depuis 25 ans, est déménagée en 1987 en Ohio. La même année, deux nouveaux modèles sont introduits : un cabriolet et un coupé à empattement allongé de 117 pouces (2,97 mètres). Une version limousine est sur les tables à dessin. Mais l’entreprise change encore une fois de main en 1988. C’est un développeur immobilier d’Ohio, J.J. Cafaro, qui en prend les rênes. Le coupé allongé est remplacé en 1990 par une berline 4 portes sur un empattement de 116 pouces (2,95 mètres). Finalement, la compagnie est mise en faillite à la fin du millésime 1991 après n’avoir produit que 15 exemplaires cette année-là. C’est la fin de la route pour l’entreprise historique, basée sur l’Avanti originale.

Photo: Avanti

La troisième mort de l’Avanti

Mais l’histoire ne s’arrête pas là! Tom Kellogg, l’un des designers originaux de l’Avanti, est mandaté en 1993 pour réaliser un kit de carrosserie au style de l’Avanti sur base de Pontiac Firebird. La compagnie AVX est fondée en 1997 pour produire l’auto. En 1999, Michael Kelly en devient l’un des actionnaires principaux. Des autos sont construites de 2001 à 2004. Avec la disparition de la Firebird en 2002, AVX se tourne vers la Ford Mustang pour continuer sa production. L’usine est déménagée à Cancún en 2006 et la fabrication est arrêtée début 2007. Michael Kelly est alors embringué dans une pyramide de Ponzi et sera poursuivi par la SEC. Cette fois-ci, c’est bel et bien la fin de l’Avanti.

À voir aussi : Antoine Joubert présente la brochure de l'AMC Matador 1978

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