Excalibur : les rois du néo-classique

De nombreuses compagnies à travers le monde fabriquent des autos de style néoclassique (ou néorétro). En Amérique du Nord, on pense notamment à Clénet, Zimmer ou Stutz. Mais celle qui a tout démarré, c’est Excalibur.

Par définition, un véhicule néoclassique utilise des composants modernes sous une allure d’inspiration provenant de modèles anciens. « Inspiration » est ici le mot clé puisqu’il ne s’agit pas nécessairement d’une réplique. Ce sont les années 20 et 30 qui ont d’abord servi de base, aujourd’hui ce sont aussi les années 50, 60, voire 70, qui attisent la créativité des fabricants.

La vision d’un homme

Moins connu que Raymond Loewy, Brooks Stevens est pourtant un designer industriel prolifique. Après avoir établi son propre bureau à Milwaukee, Wisconsin, en 1934, il a dessiné des meubles, de l’électroménager, des logos ainsi que des trains et des motos (dont la Harley-Davidson Hydra-Glide de 1949). Dans le secteur de l’automobile, il travaillera entre autres pour Volkswagen, Alfa Romeo, Kaiser Motors… et Oscar Meyers car c’est lui qui signera la Wienermobile. Son design le plus connu est certainement le Jeep Wagoneer/Grand Wagoneer, produit de 1963 à 1991. Son meilleur client est par contre Studebaker pour lequel il réalisera plusieurs véhicules dont la Gran Turismo Hawk de 1962, la Lark de seconde génération (y compris le modèle Wagonaire à toit arrière coulissant pour transporter des objets hauts) ainsi que le dernier concept de la marque (la Sceptre) avant sa disparition.

Photo: Excalibur

Au début des années 50, Stevens crée un coupé sportif en aluminium basé sur un châssis de Henry J, une petite auto produite par Kaiser-Frazer entre 1951 et 1954. Il nomme le véhicule Excalibur J et quatre exemplaires seront fabriqués à des fins de compétition. Pas de lien avec les futurs modèles, si ce n’est le nom.

Avance rapide à l’année 1963. Sherwood Egbert, le patron de Studebaker, appelle Stevens pour lui demander de dessiner des concepts qui pourront attirer l’attention sur la marque pour la saison des salons 1964. Il en réalise trois sur la base du modèle Lark… qui ne laissent pas grande impression à leur première apparition au Salon de Chicago. Le Salon de New York, en avril, approche et il faut réagir. Stevens pense à un véhicule sur un châssis de Lark Daytona mais avec des lignes inspirées de la Mercedes SSK 1928 (il possède une SS 180 Phaeton). La coïncidence est intéressante car à l’époque Studebaker est l’importateur de Mercedes aux États-Unis. Le châssis de la Lark est bien adapté à un tel design puisqu’il est un peu moins large que la plupart des châssis traditionnels et avec un X central.

Stevens réalise le dessin en urgence et l’auto est fabriquée en 6 semaines par seulement trois hommes, dont l’un des deux fils de Stevens. La carrosserie est en aluminium et le moteur (un V8 Studebaker de 289 pc à compresseur développant 290 chevaux) est reculé de près de 70 centimètres, ce qui entraîne le déplacement de la direction et l’ajustement des suspensions. Sur la calandre trône un X dans un cercle (Mercedes demandera plus tard qu’il soit changé, jugeant le logo trop proche de l’étoile à trois branches, le X disparaîtra au profit d’une épée, en lien avec la légende du roi Arthur). Le nom Mercebaker est un moment envisagé, finalement, l’auto partira en direction de New York avec des logos « Studebaker SS » sur les côtés. Oui, mais voilà…

Photo: Excalibur

Grâce aux hot-dogs!

Entre-temps, Sherwood Egbert a été remplacé par son second, Byers Burlingame, pour cause de maladie. Celui-ci se ravise, estimant que le public pourrait croire que Studebaker s’apprête à produire un véhicule à l’allure rétro. Stevens appelle les organisateurs du Salon de New York pour expliquer la situation. Ces derniers lui disent de quand même envoyer l’auto et qu’ils luit dénicheront un espace quelque part.

Ce qui fut fait… en face d’un stand de hot-dogs au second étage. L’emplacement s’avéra idéal grâce à son fort passage. Le concept, simplement exposé comme un projet spécial de Brooks Stevens Design Associates, fit sensation! De nombreuses personnes désirèrent l’acheter et Stevens finit le Salon avec 12 commandes fermes. De plus, Jerry Allen, concessionnaire Chevrolet de New York, montra un tel enthousiasme qu’il devint distributeur pour la côte est.

Sa seule demande : installer une mécanique Chevrolet dans le véhicule, sa concession étant dans l’immeuble GM. L’auto est ensuite présentée en Californie et dans différents magazines, toujours avec la même réponse positive. Alors, en juillet 1964, la compagnie SS Automobile est incorporée avec à sa tête les deux fils de Stevens : David à l’ingénierie et à la fabrication et Steve aux ventes. Brooks Stevens jouera, évidemment, le rôle de designer ainsi que celui de mentor et d’investisseur. La compagnie deviendra l’Excalibur Automobile Corporation en 1966. La production pouvait commencer.

Photo: Excalibur

Série I

La première Excalibur est proposée pour le millésime 1965. Il s’agit d’un roadster qui repose sur un châssis de Studebaker Lark de 109 pouces d’empattement. Il embarque un 327 pc (5,4 litres) de 300 chevaux provenant de la Corvette avec une boîte manuelle à 4 rapports (l’automatique est une option). Pour la carrosserie, la fibre de verre remplace l’aluminium mais on retrouve ce matériau pour la calandre. Le prix de base est de 7 250 dollars américains (pour comparaison, le prix d’une Corvette cabriolet de la même année était de 3 212 $).

La production est lente pour assurer la qualité et la compagnie essaye de fabriquer un maximum de ses pièces pour dépendre le moins possible de fournisseurs extérieurs. En 1966, une version DeLuxe, avec des ailes plus grandes et des marchepieds, est ajoutée. L’usine est déplacée à West Allis, dans la banlieue de Milwaukee. Le millésime 1967 voit l’introduction d’une carrosserie Phaeton à 4 places et d’une option V8 à compresseur de 400 chevaux (435 chevaux en 1968). L’année 1969 est la dernière pour la série I, qui se vend maintenant 10 000 $ en Roadster et 11 000 $ en Phaeton. La production se répartit comme suit : 56 exemplaires en 1965, 90 en 1966, 71 en 1967, 57 en 1968 et 85 en 1969.

Photo: Excalibur

Série II

Avec la série II, Excalibur inaugure un cycle de changement de modèle aux cinq ans qui perdurera jusqu’à la série V. Les différences esthétiques sont mineures par rapport à la série I. Par contre, on retrouve un tout nouveau châssis de 111 pouces d’empattement de conception maison pensé autour des trains roulants et des motorisations de Chevrolet Corvette. Ce qui était logique puisque Studebaker avait fait faillite en mars 1966. Le moteur devient un 350 pc (5,7 litres) de 300 chevaux (l’option compresseur disparaît).

Les prix montent à 11 500 $ pour le Roadster et 12 500 $ pour la Phaeton. Pour cette somme, vous obtenez l’air conditionné et le chauffage, la direction assistée avec volant réglable en hauteur, le différentiel arrière à glissement limité et un intérieur en cuir. En 1972, le V8 passe à 454 pc (7,4 litres) et développe 365 chevaux. La production s’établit comme telle : 37 exemplaires en 1970, 0 en 1971 (pour cause de réorganisation), 65 en 1972, 122 en 1973 et 118 en 1974.

Photo: Excalibur

Série III

La nouvelle série de 1975 est conçue pour répondre aux récentes normes de pollution et de sécurité. Elle reçoit un nouveau châssis de 112 pouces d’empattement avec une partie avant vissée afin de réduire le coût de réparations en cas de choc. Le V8 reste le 454 pc mais sa puissance chute à 215 chevaux. Extérieurement, la différence majeure se situe au niveau des ailes avant, qui sont mieux intégrées à la carrosserie.

Le prix est de 18 900 $ pour le Roadster et la Phaeton et il grimpera jusqu’à 28 600 $ en 1979 (le prix d’une Corvette est alors de 12 313 $). Cette même année, le moteur redevient un 350 pc (180 chevaux), la fabrication du big-block ayant cessé en 1977. La série connaît un joli succès : 90 exemplaires en 1975, 184 en 1976, 237 en 1977, 263 en 1978 et 367 en 1979. Ce record de production entraîne une baisse de la qualité, ce qui ne plaît pas aux frères Stevens.

Photo: Excalibur

Série IV

C’est pour cela que le nouveau modèle continue de monter en gamme et en prix, permettant d’assurer la rentabilité sur de plus petits volumes. Le châssis évolue peu techniquement, mais est étiré à 125 pouces d’empattement alors que le style est à présent plus inspiré des Mercedes SSK des années 30 avec des ailes plus galbées.

Afin de passer les normes de consommation CAFE, le moteur devient un 305 pc (5 litres) de 155 chevaux. Les autos sont très bien équipées et pèsent maintenant deux tonnes. Résultat, ce sont des veaux… et certains clients les retourneront. Les prix montent de 37 700 $ en 1980 à 57 000 $ en 1984. Malgré tout, les ventes restent bonnes avec 93 exemplaires en 1980, 235 en 1981, 212 en 1982, 138 en 1983 et 257 en 1984 (dont 50 exemplaires en édition 20e anniversaire).

Photo: Excalibur

Série V

C’est là que ça gâte! La série V de 1985 est encore plus sophistiquée, avec un intérieur entièrement fabriqué en interne (et non plus majoritairement avec des pièces GM). Pour cela, les frères Stevens consentent un gros investissement sur l’usine. Malheureusement, le marché ne répond pas face à ces autos dont les prix grimpent encore (59 500 $ pour la Phaeton et 62 000 $ pour le Roadster).

Les ventes baissent à 97 exemplaires en 1985 et 68 en 1986. La faillite est déclarée au milieu de l’année 1986. C’est Henry Warner, président de l’Acquisition Company of Wisconsin, qui reprend l’entreprise et la production redémarre début 1987. La puissance du 305 pc passe à 170 chevaux en 1987. L’année suivante voit l’apparition d’un 350 pc en option ainsi que d’une inédite carrosserie 4 portes (qui sera déclinée en limousine en 1989, fabriquée à seulement 13 exemplaires). En 1989, les prix oscillent entre 71 865 $ pour les 2 portes et 72 325 $ pour les 4 portes. Mais la production réduite (28 exemplaires en 1987, 93 en 1988 et 103 en 1989) et les pratiques commerciales douteuses (voire illégales) de Warner amènent à une nouvelle faillite en 1990.

Une (trop) longue agonie

En 1991, c’est l’Allemand Michael Timmer qui rachète Excalibur. Rapidement, celui-ci manque d’argent et, sans même avoir fabriqué un seul exemplaire, déclare forfait début 1992. Deux autres Allemands, Udo et Gens Geitlinger, se portent au secours de la marque. La production redémarre en 1993 avec des Roadsters série III et des série V modernisés. La grosse nouveauté est l’ajout de répliques d’AC Cobra. Mais rien ne marche et les Geitlinger jettent l’éponge en 1997. En 2003, Alice Preston, une ancienne employée du musée Brooks Stevens, récupère les droits de la marque et relance la fabrication de pièces afin d’assurer la maintenance des exemplaires sur la route. Aujourd’hui encore, c’est elle qui maintient la flamme Excalibur.

Si Excalibur n’a produit qu’environ 3400 véhicules et est parfois vue comme un sommet du kitsch des années 70/80, la marque aura cependant laissé une empreinte certaine dans le paysage automobile. Tout d’abord de par les nombreuses célébrités qui en auront possédé une (entre autres Dean Martin, Ronald Reagan, Steve McQueen, Sonny et Cher, Rod Stewart, Arnold Schwarzenegger ou bien James Brown), mais aussi par le fait que différentes entreprises à travers le monde ont repris son flambeau et continuent de construire encore aujourd’hui des autos inspirées par la vision de Brooks Stevens et de ses fils. 

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