Vous souvenez-vous des… Maybach 57 et 62?

Elles devaient être les autos de tous les superlatifs. Elles devaient montrer à Rolls-Royce et Bentley ce qu’était le vrai luxe.

Elles devaient séduire les stars et les puissants. Finalement, elles ont surtout été un échec commercial.

Destins croisés

Wilhelm Maybach fut l’un des pionniers de l’automobile en travaillant avec Gottlieb Daimler à ses débuts. Il quitte la Daimler Motoren Gesellschaft (la première moitié de ce qui deviendra Daimler-Benz) en 1907 pour fonder sa compagnie en 1909 afin de construire des moteurs pour les dirigeables Zeppelin.

En 1919, le traité de Versailles interdisant à l’Allemagne de produire du matériel aéronautique, Maybach se tourne vers l'automobile. De 1921 à 1940, Maybach créera quelques-uns des modèles les plus raffinés d’Europe, dont les DS7 et DS8 Zeppelin, utilisant le premier V12 allemand.

Photo: Mercedes-Benz

Autour de 1 800 voitures seront commercialisées avant que la Deuxième Guerre mondiale n’interrompe cette activité. La compagnie commence alors à fabriquer du matériel militaire, notamment des moteurs de tanks. Après 1945, Maybach revient à la production de moteurs industriels. Elle est achetée en 1960 par Mercedes-Benz et est renommée MTU en 1969.

30+

Il se dit que Mercedes-Benz aurait développé la nouvelle génération de Maybach après l’échec de la tentative de rachat de Rolls-Royce en 1998. Seulement voilà, la marque travaillait sur le projet depuis déjà près de deux ans…

En fait, Mercedes observe au milieu des années 90 que les trentenaires sont en constante augmentation. Non, pas les gens âgés de 30 ans et plus. Ce terme correspond effectivement aux personnes dont la fortune est égale ou supérieure à 30 millions de dollars. Il s’agit d’une clientèle ultraexigeante qui ne semble visée que par Rolls-Royce et Bentley (alors une seule et même compagnie).

Mercedes se dit qu’il y a là du potentiel. D’autant que la marque a déjà concurrencé la vénérable société anglaise avec un certain succès entre 1963 et 1981 avec la 600.

En 1996, trois bureaux de style internes (Irvine, en Californie, Tokyo et Sindelfingen, en Allemagne) sont désignés pour travailler sur le concept d’une limousine de prestige sous le nom de « Projekt Maybach ». Cinq maquettes sont présentées à la direction en janvier 1997 et c’est celle de Tokyo (réalisée sous la direction du Français Olivier Boulay) qui est choisie à la quasi-unanimité. Le carrossier italien Stola sera chargé d’en fabriquer le prototype.

C’est au mois d’octobre 1997, au Salon de Tokyo, que Jürgen Hubbert, président de la marque Mercedes-Benz, dévoile la Mercedes-Benz Maybach en compagnie de la petite-fille de Wilhelm Maybach. Devant la réaction enthousiaste, la compagnie décide d’aller de l’avant quant au développement d’un modèle de série.

Photo: Mercedes-Benz

Une marque à part entière

C’est à peu près au même moment que le groupe Vickers Plc met Rolls-Royce et Bentley en vente. Mercedes se montrera un temps intéressé mais se retirera rapidement des négociations laissant Volkswagen et BMW mener un duel de titans qui culminera à un accord à l’été 1998, mettant Rolls-Royce entre les mains de BMW et Bentley entre celles de Volkswagen. C’est au cours du même été que Mercedes annonce que Maybach sera une marque à part et non pas un modèle spécifique afin de créer une gamme complète. Règle numéro un d’un constructeur de luxe allemand : ne pas laisser un pouce de terrain à ses concurrents!

Jürgen Hubbert nomme le Pr Hermann Gauss pour l’élaboration de la Maybach (série W240). C’est lui qui a réalisé la conception de la Classe S génération W220, introduite en 1999, et qui servira de base à la Maybach. Olivier Boulay sera responsable du design. Si les lignes extérieures ne changent pas ostensiblement par rapport au concept, l’intérieur est entièrement revu, pour donner suite à des « clinics » avec la clientèle aisée de ce monde. Mercedes met l’accent sur la personnalisation. Au lancement, près de deux millions de combinaisons d’équipement seront possibles. Autant dire qu’aucune Maybach produite n’est identique.

Photo: Mercedes-Benz

Deux longueurs de carrosserie seront proposées : 5,7 ou 6,2 mètres… d’où les noms 57 et 62. La 57, c’est quand vous voulez conduire; la 62, c’est quand vous voulez être conduit.

Un nouveau V12 est conçu : 5,5 litres de cylindrée, 3 soupapes par cylindre, deux turbos, double allumage… les petits plats sont mis dans les grands. Résultat : 543 chevaux et 664 lb.pi de couple obtenu dès 2 200 tr/min. La boîte automatique compte 5 rapports. La 57 réalise le 0 à 100 km/h en 5,2 secondes et la 62 en 5,4 alors que la vitesse est électroniquement limitée à 250 km/h. Pas mal pour des engins de respectivement 2 737 et 2 857 kilos! Pour freiner tout ce poids, les disques avant ont non pas un, mais deux étriers à quatre pistons et l’ensemble du système de freinage est contrôlé par un système électrohydraulique (SBC) et reçoit l’ABS et l’ESP. La suspension à doubles triangles à l’avant et l’essieu arrière multibras sont équipés de jambes de force pneumatiques Airmatic DC qui permettent un amortissement piloté.

Photo: Mercedes-Benz

La débauche!

C’est en ouvrant les portes que l’on rentre dans un autre monde. Les matériaux les plus nobles se disputent votre attention : le bois (plus de 100 morceaux avec 3 essences au choix), le cuir (210 étoffes selon 6 couleurs), le chrome, l’alcantara… C’est bien simple, plus aucun plastique n’est visible!

L’équipement est pléthorique : deux systèmes de climatisation séparés (un pour l’avant, un pour l’arrière), système audio Bose de 600 watts et 21 haut-parleurs, sièges avant ajustables selon 14 directions, rideaux électriques, sièges arrière inclinables (ottomans dans la 62), compteurs pour les passagers (vitesse, heure, température extérieure), système multimédia… La liste des options n’est pas mal non plus : contrôle de distance automatique DISTRONIC, réfrigérateur arrière, tables pliantes (57), sièges climatisés, écran de partition avec le chauffeur (62) et le fameux toit panoramique qui peut s’opacifier sur la simple pression d’un bouton (62). Au Canada, les 57 et 62 sont respectivement proposées au tarif de 472 378 et 548 568 $ (millésime 2004). En comparaison, une Bentley Continental GT à 224 990 $ à l’air d’une affaire. Par contre, à ce prix-là, vous avez accès à un assistant personnel 24 heures sur 24 pour répondre à tous vos besoins.

Photo: Mercedes-Benz

Un démarrage en fanfare!

La Maybach 62 numéro de châssis « 001 » est expédiée de l’usine de Sindelfingen, via Southampton en Angleterre, à New York de façon originale. Elle est chargée à bord du paquebot Queen Elizabeth II le 26 juin 2002 dans un conteneur transparent. Le 2 juillet au matin, le conteneur est déchargé par hélicoptère et, deux heures plus tard, l’auto est parquée avec tambours et trompettes devant l’hôtel Regent, sur Wall Street, à deux pas de la bourse de New York. Le dévoilement est symbolique car Maybach pense écouler aux États-Unis 400 des 1 000 exemplaires qu’elle compte produire chaque année.

Photo: Mercedes-Benz

Douche froide

Si quelques vedettes et autres personnes influentes s’empressent d’ouvrir leurs chéquiers, Maybach réalise très vite que tout ne va pas se passer comme prévu. Seuls 600 exemplaires sont vendus la première année. Et les chiffres vont baisser à partir de là. Le lancement de la Classe S W221 en 2006 (qui démode un peu la Maybach) et la crise financière de 2008 ne vont rien arranger.

Pour soutenir les ventes, Maybach présente les 57S (Salon de Genève, mars 2005) et 62S (Salon de Detroit, janvier 2007). Elles bénéficient d’un V12 revu (6,0 litres, 604 chevaux et 738 lb-pi de couple) et de roues spéciales. Puis ce seront les versions Zeppelin au Salon de Genève 2009, limitées à 100 exemplaires pour chaque modèle, avec un V12 de 631 chevaux et des combinaisons de couleurs et de matériaux spécifiques. Les 57 et 62 reçoivent leur unique restylage en 2010, au Salon de Beijing. L’esthétique est légèrement modifiée alors que l’électronique (aides à la conduite et multimédia) est mise à jour. Rien n’y fait…

Pas même la Landaulet, en mémoire d’un style de carrosserie vu dans les années 20-30 et sur la 600, présentée à Dubaï en 2007 comme concept et dotée d’un toit décapotable sur toute la partie arrière. Elle sera produite à seulement 8 exemplaires et vendue pour la somme faramineuse de 1,3 million de dollars US.

Photo: Mercedes-Benz

Le couperet

Il est un temps envisagé de développer une nouvelle génération de Maybach en collaboration avec Aston Martin, qui pourrait utiliser cette plate-forme pour un modèle Lagonda. Mais le plan tombe à l’eau.

Mercedes préfère miser sur la génération W222 de Classe S qui sera lancée en 2014. Le 25 novembre 2011, la compagnie à l’étoile annonce la fin de Maybach pour le millésime 2013. Finalement, près de 3 000 exemplaires auront été produits en 11 ans, dont un peu plus de la moitié écoulé aux États-Unis. Le journal britannique Car a calculé que Mercedes a perdu plus de 330 000 euros par véhicule vendu (soit plus de 450 000 dollars canadiens en 2013).

On peut attribuer cet échec à un style élégant mais générique, trop similaire à celui de la Classe S coûtant 3 fois moins cher (la clientèle veut une absolue exclusivité à ce niveau de prix) et l’absence de cachet du nom Maybach.

Aujourd’hui, Maybach est accolé à des versions ultraluxueuses de modèles Mercedes existants (Classe S, Classe G et GLS). Et ça marche! Les ventes sont excellentes et Mercedes est en train de « bâtir » le nom. Avec cela, il n’est pas impossible de revoir un jour un modèle Maybach spécifique. En espérant que la clientèle ait oublié la mésaventure des 57 et 62…

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