Contravention pour excès de vitesse : les points à considérer avant de contester

Ma chronique d’aujourd’hui porte sur une décision jurisprudentielle qui traite de questions d’usagers de la route qui reviennent sans cesse dans ma pratique.

 En effet, je ne sais plus combien de fois je me suis fait poser les questions suivantes concernant les contraventions pour excès de vitesse:

« Impossible que j’aie roulé à cette vitesse-là, le policier a dû se tromper… Il y avait surement des interférences, il y a des fils électriques partout dans ce coin-là! » Ou bien : 

« J’étais en train de dépasser quand la police m’a arrêté! Je n’avais pas le choix d’accélérer, le gars en arrière me poussait au derrière. »

Et bien sûr, le classique : « J’ai demandé au policier de me montrer le radar mais il n’a jamais voulu. Comment je fais pour savoir si c’est vrai? »

Or, dans une décision de 2021 intitulée DPCP c. Serge Thibodeau, le défendeur, monsieur Thibodeau, arrive à la jonction de deux routes et il doit effectuer un arrêt obligatoire. Il désire tourner à droite sur une route perpendiculaire sans apercevoir qu’une moto arrive, selon lui, à haute vitesse à sa gauche. Donc au moment où il tourne, il coupe la moto qui arrive très rapidement en klaxonnant. Monsieur Thibodeau a très peur et décide d’accélérer rapidement pour se distancer et éviter un danger.

Il est intercepté par un policier qui faisait du radar à cet endroit et reçoit une contravention pour une vitesse de 155 km/h dans une zone de 90 km/h.

Voici, entre autres, les arguments soumis par La Défense devant l’Honorable juge Bordeleau:

« (26) Le procureur en défense soulève une défense de nécessité, car le défendeur a été obligé d’accélérer fortement pour éviter un accident avec la motocyclette arrivant à sa gauche à l’interception du 7e Rang et de la route de la Grande-Ligne.

[27] Il soulève la présence de sources d’interférences, soit le fait que le radio CB du véhicule de police était allumé et la présence d’une ligne à haute tension située tout près de l’intersection. Il soulève donc que la vitesse constatée peut avoir été influencée par la présence de ces sources d’interférences.

             …

[29]  Refuser au défendeur de voir la lecture du radar, fait en sorte que le Tribunal doit se fier sur les dires du policier concernant la vitesse constatée, sans permettre au défendeur de faire une preuve contraire, ce qui va à l’encontre d’une défense pleine et entière pour le défendeur.

[30] Le défendeur explique le fait qu’il n’a pas vu la motocyclette qui s’en venait à sa gauche lors de son arrêt obligatoire à l’intersection du 7e Rang et de la route de la Grande-Ligne, par la présence d’une rangée d’arbres, tel qu’il appert d’une photographie, pièce D-2-B.

[31] Cette situation a fait en sorte qu’il s’est engagé sur la route de la Grande-Ligne sans se douter qu’une motocyclette arrivait à grande vitesse, donc, il n’a pas eu d’autre alternative que d’accélérer fortement pour éviter un accident. »

Photo: Agence QMI

Qu’en pensez-vous? Croyez-vous ses arguments crédibles et susceptibles de soulever un doute auprès du tribunal?

Question de mettre fin au suspense, je vous annonce que le défendeur a été reconnu coupable sur toute la ligne! Voici pourquoi :

Défense de nécessité

J’ai déjà traité de cette défense avec vous dans le passé, et question de vous rafraichir la mémoire, en voici les 3 critères, tirés de l’arrêt R. c. Latimer [2001] 1 R.C.S. 3, 2001 CSC 1, paragr. 28 et 29:

« Premièrement, il doit y avoir danger imminent.  Deuxièmement, l’accusé ne doit pas avoir d’autre solution raisonnable et légale que d’agir comme il l’a fait.  Troisièmement, il doit y avoir proportionnalité entre le mal infligé et le mal évité. »

Dans la situation décrite ci-haut, le juge a tranché qu’il n’y avait pas de nécessité, car s’il y avait effectivement ouverture à un danger imminent, c’est le défendeur lui-même qui s’est placé dans une telle situation en ne prenant pas soin, notamment, d’avancer tranquillement sa voiture pour se débarrasser de l’obstruction visuelle causée par un bosquet d’arbres et ainsi être en mesure de voir si un véhicule arrivait ou non. Il s’est aventuré sans avoir préalablement positionné sa voiture de manière à mieux voir si des véhicules s’en venait dans sa direction.

Il ne peut donc pas invoquer le danger immédiat. Le tribunal note aussi que le défendeur aurait pu se ranger immédiatement dans l’accotement à sa droite pour laisser passer le motocycliste, démontrant qu’il y avait au moins une autre solution raisonnable offerte au défendeur. Sur le troisième critère le tribunal est d’avis qu’en accélérant à 155 km/hdans une zone de 90 km/h, il y a disproportion entre le mal infligé et le mal évité.

Photo: Agence QMI

Sources d’interférences

Pour ce point, le juge a conclu qu’un policier formé pour opérer l’appareil utilisé est bien au fait que ledit appareil émet un son clair quand il n’y a pas d’interférence avec son radar. Et dans le cas qui nous occupe, le policier a témoigné avoir un son « Doppler » clair, et ce, jusqu’à ce que le véhicule du défendeur sorte du faisceau de l’appareil. De plus, aucune preuve n’aurait été présentée à l’effet de présence de fils électriques au-dessus de l’endroit où il aurait été capté. Le juge a donc conclu qu’il y a preuve que l’appareil utilisé par le policier a bel et bien été calibré, et que le policier était adéquatement formé pour opérer l’appareil utilisé, que le policier n’a relaté aucune source d’interférence et s’il en avait noté, il n’aurait pas tenu compte du résultat obtenu, à savoir la vitesse captée de 155 km/h. Et dans un tel cas, il n’aurait tout simplement pas émis la contravention.

Obligation du policier de montrer le radar

Ce point est très souvent soulevé par des gens qui me consultent pour une contravention liée à un excès de vitesse et ces derniers sont souvent frustrés et ne comprennent pas pourquoi le policier refuse de montrer la vitesse affichée sur l’appareil utilisé par ce dernier. Or, voici la position de l’honorable juge Bordeleau:

« Quant au refus du policier de montrer la vitesse affichée au radar, les tribunaux reconnaissent que la loi n’impose aucune obligation légale au policier de montrer l’affichage d’un appareil. (Ville de Québec c. Beaulieu[5]; St-Jérôme (Ville de) c. Blais[6]; Thetford Mines (Ville de) c. Delisle[7], 10 juin 1998, Cour supérieure, juge Desjardins, no 235-36-000012-977). »

Le juge cite aussi la position en la matière de l’Honorable juge Pierre-Armand Tremblay, J.C.M. dans Saint-Sébastien (Municipalité de) c. Doiron, 2015 QCCM 227.

  «  [43]      Refuser de montrer cette information alors qu’elle est disponible ternit inévitablement l’image de la justice. En effet, tout justiciable se faisant ainsi interdire l’accès à l’élément de preuve le plus objectivement convaincant quant à la confirmation des prétentions du policier peut raisonnablement croire qu’on a quelque chose à lui cacher.

[44]      Ce « quelque chose » est nécessairement relié à la crédibilité du policier puisqu’on demande au justiciable de croire les dires du policier alors qu’une preuve objectivement plus probante est disponible.

[45]      Cela dit, même si on obligeait un policier à divulguer la lecture de son appareil sur le champ, on peut penser que des justiciables plus suspicieux pourraient croire que l’affichage montré serait celui obtenu par le passage antérieur d’un autre véhicule.

[…]

[50]      Même s’il peut paraitre souhaitable que l’obligation de montrer au défendeur la vitesse de l’appareil radar au moment de l’interception soit éventuellement établie par la loi ou la jurisprudence, il demeure que l’état actuel du droit ne permet pas de conclure en une situation « exceptionnelle » causant préjudice au droit du défendeur à une défense pleine et entière compte tenu des moyens de défense reconnus par les tribunaux en cette matière. »

Comme vous êtes à même de le constater, le fait que les policiers n’aient pas d’obligation de montrer le radar repose sur des considérations qui ne sont pas d’ordre légal, mais plutôt sur des considérations relatives à la formation reçue par ceux-ci à l’école nationale de police.

Donc, les usagers de la route doivent se fier au policier, et c’est souvent ce qui créé du doute et des questionnements, surtout dans le cas d’un conducteur persuadé de ne pas avoir circulé à la vitesse reprochée.

Finalement, vous comprendrez qu’il est tout à fait inutile pour vous de vous obstiner avec un policier qui refuse de vous exhiber le résultat sur son radar, car ce dernier n’a aucune obligation légale de le faire.

Cette décision vous démontre un bon exemple des arguments souvent présents devant la Cour en matière de vitesse. Elle vous permet de constater le travail fait par le tribunal dans l’évaluation d’une défense. Vous constaterez également que les décisions reposent principalement sur l’interprétation de la loi, l’appréciation des faits, et sur la jurisprudence.

En conclusion, pour éviter toutes expériences désagréables dans la contestation d’une contravention, il est recommandé de prendre une consultation auprès d’un avocat membre du Barreau, pour connaitre les implications relatives à une défense auprès de la Cour. Ainsi, vous éviterez de reposer votre défense sur des arguments qui n’auront aucun impact sur celle-ci, vous concentrant plutôt sur des éléments susceptibles de soulever un doute auprès du tribunal.

Pour toutes questions, vous pouvez consulter notre expert Me Éric Lamontagne en consultant le site www.contraventionexperts.ca

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