Packard 1939, un dernier p'tit tour de voiture?

L’Halloween, c’est la journée la plus bizarre de l’année, la journée où les morts se sentent revivre. Peut-être certains d’entre eux se souviennent-ils de leur dernière promenade… Dans un certain Packard 1939 très ostentatoire.

Durant des millénaires, les corps des défunts ont été transportés par des humains. À l’époque, le cheval était considéré comme indigne d’une telle fonction. Il faut attendre le 18e siècle pour que les corps soient transportés dans des véhicules hippomobiles. C’est à ce moment que le nom « corbillard » est apparu. Ce nom vient de la ville française de Corbeil. Dans ce temps, une péniche faisait la navette entre Corbeil et Paris et c’est ainsi que, dans les années 1700, on était heureux de prendre le corbillard pour se rendre « en ville » ! Lors des années 1800, une industrie prospère se crée autour du corbillard. Les calèches vont devenir de plus en plus richement décorées et inspireront toujours le plus profond des respects.

Pionnier… malgré lui!

Il semblerait que les tout premiers corbillards motorisés aient été vus en Europe, à Paris pour être plus précis, pendant la première moitié de la première décennie du 20e siècle. Il faut attendre 1909 pour trouver la trace du premier corbillard mu par un moteur à essence. La première personne à avoir l’honneur d’en être le passager serait un certain Wilfrid A. Pruyn de Chicago. Mais il semblerait que l’expérience l’ait laissé plutôt froid… L’industrie du corbillard venait de prendre une nouvelle dimension.

Durant la première moitié du 20e siècle, des marques comme Packard fabriquent des châssis qu’elles vendent à des entreprises spécialisées dans la création de corbillards. Les châssis qui sortent de chez Packard possèdent les organes mécaniques et, habituellement, la partie avant de la carrosserie, incluant le tableau de bord et les portières avant. Tout le reste est à fabriquer. Le Packard 1939 modèle 120 qui s’est prêté à notre séance de photos a été construit par la firme Brantford Coach Ltd, de Brantford en Ontario, aujourd’hui connue sous le nom de Trailmobile Canada. À l’époque, Brantford est associée avec Cockshutt Plow Cie, une entreprise connue des amateurs de matériel agricole, et Henney, un important fabricant de corbillards américain.

Avant les années 80, il était possible de faire sortir (ou de faire entrer, c’est selon !) un cercueil de chaque côté du véhicule et par l’arrière. Un ingénieux mécanisme patenté par Henney et nommé Nu-3-Way permettait de faire pivoter la table (la base sur laquelle on dépose le cercueil pour le faire glisser dans le véhicule) dans trois directions différentes. Parmi les autres particularités de notre corbillard, mentionnons les rideaux en velours aux fenêtres, les nombreuses appliques de bois sur les côtés et sur la grande porte arrière ainsi qu’à l’intérieur et les crucifix dans les vitres latérales arrière.

Ce corbillard a été acheté par les Salons Funéraires Berthiaume de Hawkesbury en 1981. Les frères Berthiaume, qui continuent l’entreprise familiale lancée en 1896, se souvenaient d’un corbillard Packard 1937 que leur père avait déjà possédé. C’est donc avec plaisir qu’ils se sont procuré ce modèle 1939 qui ressemble beaucoup à celui du paternel. Ils possèdent aussi une calèche funéraire qui date de 1896. Ces deux corbillards servent encore passablement durant l’été, parfois même jusqu’à une vingtaine de fois. Même si le Packard fonctionne comme un neuf, il y a toujours un autre corbillard qui suit le convoi, au cas où ! 

Retour en arrière…

Packard a commencé ses activités en 1899 d’une bien drôle de façon… Possédant une problématique Winton 1898, James Packard se plaint de ses nombreuses pannes à Alexander Winton, le fabricant de la têtue bagnole. Winton envoie promener Packard et ce dernier décide qu’il va montrer à l’impoli manufacturier de quel bois il se chauffe. Il crée sa propre marque! Les premiers modèles Packard font sensation et la demande ne cessera de croître durant les décennies suivantes. Avant la Première Guerre mondiale, Packard produit même des camions. Durant les années 20, 30 et 40, les modèles Packard concurrencent les Cadillac, Pierce-Arrow et Peerless dans le domaine du haut de gamme. Leur style plait et ils sont prestigieux. Mieux, ils représentent la noblesse. Il est donc tout à fait normal pour l’industrie naissante des corbillards motorisés de faire appel aux produits Packard. Remarquez qu’à l’époque, des Cadillac, Buick, LaSalle, Pierce-Arrow et Lincoln sont aussi transformés en corbillards. 

Les corbillards n’ont généralement pas la vie très difficile puisqu’ils ne parcourent que très peu de kilométrage. Ces véhicules pourraient durer plusieurs décennies mais la plupart des maisons funéraires les changent bien avant la fin de leur vie utile. Alors pourquoi en voit-on si peu? Tout simplement parce que lorsqu’ils ne sont plus utiles, ils sont vendus à des entreprises qui les envoient dans des pays pauvres ou encore, ils sont tout bonnement vendus à des particuliers qui s’amusent un temps avec. Les frères Berthiaume ont toujours refusé de vendre leurs corbillards à des particuliers.

Les corbillards d’aujourd’hui n’ont plus grand-chose à voir avec ceux des années 30. Maintenant, ils sont fabriqués comme s’il s’agissait de limousines. On prend une Cadillac, ou une Lincoln, on coupe son châssis, on l’allonge puis on fixe les apparats. Un corbillard moderne peut facilement valoir plus de 80 000$. Notre Packard, lui, a été évalué il y a une dizaine d’années à 58 000$, ce qui n’est pas rien. Et si vous désirez le voir, même pas besoin d’aller à Hawkesbury. Vous pouvez juste visionner le film Alys Robi, ma vie en cinémascope. Le Packard 1939 y est!

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