Conduite sportive, un plaisir rare à partager prudemment

Vous est-il déjà arrivé de vous demander de quoi il est question exactement lorsqu’un (ou une) journaliste automobile emploie l’expression ‘conduite sportive’ dans un essai ou la présentation d’un nouveau modèle?

Comme plusieurs de mes collègues, sans doute, je prends pour acquis que la lectrice ou le lecteur sait parfaitement de quoi il s’agit mais je suis loin d’en être convaincu.

À vrai dire, lorsque je parle de conduite sportive plutôt que de ‘conduite normale’, je pense à ces rares occasions où je me permets d’accélérer franchement, de freiner fort et d’aborder un virage en utilisant plus que le strict minimum de l’adhérence des pneus. Question de savoir comment se comporte cette voiture, ce camion ou cette fourgonnette à un rythme un peu plus soutenu.

Parce qu’il n’est aucunement question ici de découvrir ses vraies limites. Sur la plupart de nos routes ce serait pratiquement impossible, probablement bruyant, vaguement antisocial et presque certainement illégal dans un modèle neuf ou le moindrement récent. Peut-être même dangereux.

Les pneus sont trop mordants, les suspensions trop bien réglées et les freins trop puissants. Même sur la plus modeste des sous-compactes. Respectez scrupuleusement les limites de vitesse prescrites en plus de ces panneaux jaunes qui suggèrent la vitesse sûre pour le virage suivant et jamais vous n’utiliserez plus que le cinquième du potentiel réel de votre voiture. Sans doute moins.

Une solution simpliste . . . et efficace

Voilà qui est théoriquement parfait pour la sécurité et le bilan routier puisque de cette manière il reste toujours une marge énorme d’adhérence pour toute éventualité, toute situation imprévue, toute distraction. Le principe d’élimination du risque par réduction radicale de la vitesse, en somme.

Le même principe qui a permis aux technocrates et au Ministère des transports de proclamer que l’installation d’une quinzaine de radars-photo (ou photo-cinémomètres pour faire plus savant) avait permis de réduire le nombre de collisions depuis environ deux ans au Québec. En plus de rapporter deux douzaines de millions pour les quelque 139 000 contraventions émises. Tout ça au nom de la sécurité, bien sûr.

Le pire c’est que la chose est vraie, même si je trouve encore formidablement absurde de ralentir comme tout le monde pour éviter d’être ‘flashé’ à environ un kilomètre du pont-tunnel Hippolyte-Lafontaine ou du pont Champlain, pour mentionner seulement ceux que je croise le plus souvent. Un ralentissement général et prononcé sur à peine plus d’une centaine de mètres.

Mais ça marche, si on peut croire les statistiques qu’on nous présente. J’en suis même venu à penser que le radar-photo serait une bonne solution à l’absurde corrida qui met aux prises les automobilistes qui veulent emprunter la bretelle qui mène à la route 132 vers l’est à la sortie du pont Jacques-Cartier et ceux qui veulent se rendre à la bretelle de la route 132 ouest en venant de Longueuil.

C’est comme un derby de démolition potentiel où les voitures se croisent continuellement, comme sur un circuit en ‘8’, à des vitesses nettement supérieures à la limite affichée de 50 km/h. Un jour ça va cogner très fort et il sera trop tard. Un radar-photo à quelques centaines de mètres en amont et tout le monde va ralentir. À part ceux qui feront une contribution involontaire au budget provincial, bien sûr.

Tout ça pour compenser le dessin profondément discutable d’une paire de bretelles d’autoroute très fortement achalandées. Et je ne parlerai pas de cette sortie, à peine plus loin, où les voitures qui veulent quitter la 132 pour aller vers le pont J-C doivent immanquablement se faufiler entre celles qui essaient d’y accéder pour aller vers l’Ouest en accélérant parce qu’il ne faut pas bloquer ceux qui y roulent déjà à plus grande vitesse.

Hésitations, freinages, coups d’accélérateur, c’est souvent pitoyable. On est vraiment tenté de dire qu’ils en fumaient ou en buvaient du bon au Ministère des transports ou dans quelque firme de génie-conseil le jour où ces bretelles ont été dessinées il y a une bonne quarantaine d’années. Tiens, tiens, vers la fin des années soixante, justement.

Parce que tout a changé

Vous trouvez que cette chronique a elle-même dévié ou dérapé? Pas tant que ça si on y pense bien. Parce que la notion de conduite sportive est liée à un grand nombre de facteurs de nos jours. À l’état crevassé ou quasi-volcanique de certains bouts de route, par exemple. Mais encore plus à la densité incroyable du trafic.

Le parc automobile va continuer de grossir chez nous. Pas au même rythme qu’en Chine mais quand même. Il y a sans doute quatre ou cinq fois plus de voitures et autres véhicules à quatre roues qui filent dans tous les sens au Québec qu’à l’époque où j’ai décroché mon permis. Je sais, ça fait un bail, mais ça n’est pas moins vrai pour autant.

Il y a aussi le nombre et le coût des contraventions, surtout pour vitesse, qui semblent croître à un rythme comparable à celui du nombre de nos valeureux policiers en patrouille, à leur l’efficacité et au raffinement de leur équipement. Les points d’inaptitude coûtent cher une deuxième fois lorsque vient le temps de renouveler son permis. Parlez aussi aux jeunes conducteurs dont on vient de réduire le total de points d’inaptitude de 15 à 8 pour les moins de 23 ans et de 15 à 12 pour ceux qui ont de 23 à 25 ans.

Vous avez entièrement raison de croire que si cette réduction peut prévenir une seule collision impliquant un jeune conducteur, elle est pleinement justifiée. Comme il faut encourager et saluer tout ce qui permet aux jeunes d’étancher leur soif de vitesse dans les meilleures conditions possibles, sur une piste d’accélération ou sur un circuit. Ça vaut pour les moins jeunes aussi.

Mon permis se porte très bien, merci. Je vais bientôt récupérer mon seul point d’inaptitude,  perdu pour un petit excès de vitesse en ville. J’entends ou lis les aventures de collègues qui racontent avoir besoin d’un avocat pour gérer leur collection de contraventions. C’est moins impressionnant mais j’ai hâte d’avoir à nouveau tous mes points et je veux que ça dure.

Si je ne suis pas frustré le moins du monde c’est que nos routes ne sont effectivement plus des ‘pistes de course’ comme le rappellent des panneaux de plus en plus nombreux le long des routes. Pour les raisons mentionnées plus haut et quelques autres encore.

Aussi parce que mon métier me permet de pousser régulièrement des voitures à leurs limites sur des circuits et sur l’excellent parcours tracé sur les pistes de l’aéroport de Niagara pour les essais annuels de l’AJAC.

Tout est dans l’endroit et la manière

Il y a aussi ces merveilleuses routes en lacet, découpées en plein bois, en pleine campagne ou en plein désert, loin de toute habitation. Le seul endroit où il est possible de s’approcher des vraies limites d’une voiture sans risque inutile. Cette espèce de danse, rythmée par les freinages, les changements de rapports et le volant que l’on braque juste ce qu’il faut pour mettre la voiture en appui et faire glisser les pneus juste ce qu’il faut. Un pur plaisir à bord des meilleures, qui ne sont pas nécessairement les plus puissantes.

De toute manière, la conduite sportive de l’un est peut-être la promenade de l’autre. L’essentiel est de se sentir et d’être toujours en pleine maîtrise, quelle que soit la vitesse. De décoder les messages de la direction et des pneus, de guetter et goûter le son de la mécanique en jetant un coup d’œil au compte-tours pour tirer toujours le meilleur du moteur. C’est évidemment différent si on conduit une Tesla . . .

L’idée est également de savoir partager ce plaisir si on ne roule pas seul. Rien de plus idiot qu’un conducteur qui s’amuse à effrayer ses passagers. Rien de plus bête que de conduire  brusquement au point de leur donner la nausée.

J’ai bouclé des centaines de tours de circuit à grande vitesse, avec un ou des passagers, à bord de voitures telles que la Audi R8, la Nissan GT-R, la Corvette Z06 et plein d’autres. Même sous la pluie. Jamais je ne roule à fond sans d’abord m’assurer que mes passagers n’ont pas peur. Sans être certain qu’ils sont en confiance et sans les avertir qu’ils seront joyeusement secoués par les transferts de poids et les freinages à couper le souffle de tels bolides. Comme dans un manège, sans les rails.

Il y a eu aussi quelques balades sur la route, avec de grandes sportives. Pas besoin d’atteindre de grandes vitesses pour faire sentir tout le potentiel de ces étalons. Un ou deux virages en appui suffisent largement. Et l’accélération elle-même n’a rien d’illégal. Le son d’une grande mécanique qui galope non plus.

Occasions rares...

L’idée première de cette chronique m’est venue après deux présentations en terre américaine où j’ai pu rouler seul dans de nouvelles Mercedes-Benz assez sportives merci. La première fois sur la légendaire Highway 1 de San Francisco vers le nord avec un crochet vers la vallée de Napa.

J’ai conduit une CLS 63 AMG de 550 chevaux pour l’aller et une CLS 550 de 402 chevaux au retour au lieu de prendre l’autobus comme plusieurs collègues. Une occasion parfaite d’explorer toutes les facettes, tous les réglages et tous les systèmes de conduite sans avoir à me soucier des réactions d’un passager.

Même scénario avec le nouveau roadster SLK du même constructeur, cette fois sur un parcours qui comprenait une tout aussi fameuse route 129 surnommée Tail of the Dragon dans les Appalaches, en Caroline du Nord. J’ai été particulièrement satisfait d’en arriver aux mêmes conclusions sur son caractère, ses performances et sa tenue de route plus relevés en tournant plus tard l’essai de la SLK 350 au circuit Sanair pour l’émission du Guide de l’auto à Canal Vox.

Dans ces deux cas, j’étais au bon endroit, avec de bonnes voitures et je me suis vraiment régalé. Ces jours là j’aime beaucoup ce métier qu’on ne nous envie pas toujours pour les bonnes raisons. La conduite sportive est un plaisir rare et unique qui s’est transformé radicalement depuis que je sévis comme journaliste de l’automobile. Pour s’y adonner librement il faut un circuit. Sinon, on peut la consommer à petites doses à des endroits choisis très soigneusement.

Le reste du temps, conduisez en douceur, anticipez tout mouvement, appréciez la finesse des contrôles et essayez de réduire la cote de consommation affichée au tableau de bord. C’est ce que je fais et j’y trouve une autre forme de plaisir. En attendant la prochaine séance sur piste.

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