Méga-usine de batteries de Volkswagen: voici St. Thomas, la ville ontarienne qui a damé le pion au Québec

Par Francis Halin

ST. THOMAS, Ontario | « On n’arrête pas de sourire depuis l’annonce », lance le maire de St. Thomas, Joe Preston, au Journal. « Montez dans ma voiture, je vais aller vous montrer l’immensité du terrain que l’on prépare pour Volkswagen. »

En ville, ses citoyens l’appellent «Joe». On se passe du nom de famille. Avant d’être maire de St. Thomas, l’homme a été député conservateur, mais pour les gens, il reste « le gars du Wendy’s », copropriétaire du restaurant de la rue Talbot.

En roulant, le maire montre fièrement le site de la superficie de 1400 terrains de football. De la machinerie abat des arbres. Des maisons et des fermes sont éventrées par des bulldozers. Des travaux pour niveler le terrain sont en cours.

« Le site correspondait exactement à ce qu’ils recherchaient. Le fédéral et le provincial nous ont vraiment aidés à mettre notre présentation de l’avant », explique Joe Preston.

Quand on lui demande si la compagnie de batteries de Volkswagen, PowerCo SE, aura droit à un rabais ou à un congé de taxes municipales, il jure que non. 

Photo: Volkswagen

« Bien sûr qu’ils vont en payer », rétorque-t-il.

« Il y a beaucoup d’autres incitatifs », s’empresse-t-il cependant d’ajouter.

Joe Preston dit ne pas être au courant de l’apport financier du fédéral et du provincial dans la méga-usine, qui doit commencer sa production en 2027.

« Lignes électriques très puissantes » 

Alors que le Québec a dû faire une croix sur le projet d’investissement de plusieurs milliards de dollars faute d’avoir les lignes de transmission, selon le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie Pierre Fitzgibbon, St. Thomas avait prévu le coup.

Rappelons qu’après l’annonce du choix de l’Ontario, Hydro-Québec avait évoqué l’« échéancier agressif » de la multinationale européenne.

Photo: Antoine Joubert

« Ces rehaussements (ajout ou reconstruction de lignes de transport, d’équipements dans nos postes électriques, etc.) n’auraient pas pu être réalisés à temps en fonction de l’échéancier agressif du promoteur », avait expliqué au Journal le porte-parole d’Hydro-Québec, Maxence Huard-Lefebvre. 

Volkswagen voulait un terrain d’une superficie de 1400 terrains de football, d’environ 700 mégawatts, une réalisation rapide du projet... tous des critères que le Québec était incapable de remplir, selon la société d’État.

Tout à proximité

Or, en discutant avec le maire de St. Thomas, Joe Preston, on voit à quel point la municipalité avait pris de l’avance dans la course à l’usine de batteries.

« On a des lignes électriques très puissantes près du site, juste au coin », insiste en cours d’entretien le premier magistrat, en les pointant du doigt.

« On savait que ce site avait de l’énergie, du gaz naturel et de l’eau à proximité », poursuit-il. 

Le réservoir du lac Érié est à quelques kilomètres.

Lorsqu’on interroge Joe Preston sur le type d’énergie qui devrait alimenter la méga-usine, il répond que Volkswagen a eu « tout ce qu’elle voulait ».

« Ma compréhension, c’est que ce sera comme partout en Ontario, la vaste majorité de l’énergie viendra du nucléaire et bien sûr de l’hydroélectricité », dit-il.

« On avait un site prêt », résume-t-il.

Approvisionnement automobile, énergie propre, ressources minérales critiques, main-d’œuvre... le ministère ontarien du Développement économique a expliqué au Journal ces derniers jours pour quelles raisons « l’Ontario est la destination idéale pour les fabricants de batteries ».

LES SEPT RENCONTRES CRUCIALES AVANT LE OUI FINAL

Photo: Photo tirée de Facebook, Fordnation
Le premier ministre de l’Ontario Doug Ford, à Queen’s Park, peu avant le discours du budget 2023-2024, le 23 mars. Le parlement ontarien a été le théâtre de plusieurs rencontres entre Doug Ford et les représentants de Volkswagen.

27 avril 2022

1. Réunion avec le conseil d’administration de Volkswagen Amérique du Nord (en personne en Ontario).

14 octobre 2022

2. Réunion de la mission commerciale avec Volkswagen (en personne en Allemagne).

7 novembre 2022

3. Volkswagen se rend en Ontario (en personne à London, Ontario).

13 décembre 2022

4. Première rencontre des représentants de Volkswagen avec le premier ministre ontarien, Doug Ford (en personne à Queen’s Park, le parlement de l’Ontario, à Toronto).

13 janvier 2023

5. Les représentants de Volkswagen retournent en Ontario pour une deuxième rencontre avec Ford (en personne à Queen’s Park).

8 février 2023

6. Volkswagen revient en Ontario pour une troisième rencontre avec Ford (en personne à Queen’s Park).

23 février 2023

7. Volkswagen retourne en Ontario pour une quatrième rencontre avec le premier ministre Doug Ford (en personne à Queen’s Park).

À noter : Il y a eu des rencontres hebdomadaires consécutives avec Volkswagen à partir d’octobre 2022.

Source : Investissements Ontario

« C’EST L’INVESTISSEMENT DU SIÈCLE »

Photo: Francis Halin

ST. THOMAS, Ontario | On n’aperçoit pas trop de voitures électriques sur les routes de la ville qui vient d’obtenir l’une des plus grandes usines de batteries au monde. Ce que l’on voit partout, c’est Jumbo l’éléphant, qui est l’icône de son passé ouvrier.

Car avant d’être une ville qui bat au rythme des méga-usines automobiles, St. Thomas a longtemps été le centre nerveux du transport par train. Difficile de faire quelques coins de rue sans traverser de passage à niveau.

Photo: Journal de Montréal

À mi-chemin de Detroit et Buffalo, St. Thomas est vite devenue une plaque tournante du transport ferroviaire. Dès le début du XXe siècle, une centaine de trains passaient en ville chaque jour, ce qui lui a valu le titre de la «capitale canadienne des chemins de fer», mentionne la ville sur son site web.

Mais plus que les wagons, l’image qui hante St. Thomas est celle de Jumbo, un célèbre éléphant de cirque mort frappé par un train le 15 septembre 1885. 

« Jumbo News »

Quand Le Journal propose d’aller rencontrer Paul Jenkins, PDG de la St. Thomas & District Chamber of Commerce, et Sean Dyke, PDG de la St. Thomas Economic Development Corporation, au pied de la statue hommage à Jumbo, on accepte en disant que l’arrivée de Volkswagen est de la « Jumbo News ».

« C’est l’investissement de plus d’une génération. C’est l’investissement du siècle », sourit Paul Jenkins, PDG de la St. Thomas & District Chamber of Commerce, qui représente 550 entreprises du coin.

« De l’industrie alimentaire à l’hébergement, à la construction de maison, en passant par le manufacturier, on se dira : “C’était le bon temps” », ajoute-t-il.

À côté de lui, Sean Dyke, PDG de la St. Thomas Economic Development Corporation, a le même sourire rayonnant. Il savoure encore la nouvelle.

« On avait préparé le terrain depuis 2021 », lance-t-il.

« On a l’électricité près du site. C’est pour cela que plusieurs grandes compagnies de batteries s’intéressaient au lieu. Hydro One est carrément l’autre bord de la rue », affirme-t-il.

« Je crois que le lieu joue pour beaucoup. On est près de la chaîne d’approvisionnement canadienne et américaine », souligne-t-il.

« On est à une heure de la frontière américaine et à deux heures de Detroit », conclut-il.

DES VOISINS DE LA FUTURE USINE CRAIGNENT QU’ELLE EMPOISONNE LEUR EXISTENCE

Photo: Francis Halin

CENTRAL ELGIN, Ontario | « On ne sait rien de la pollution de l’eau, de l’air, du sol, du bruit et de la lumière », dénonce Diane Dubois, qui habite à la frontière du terrain de la future méga-usine de batteries du géant allemand Volkswagen.

« Ça nous fait pleurer, nous autres, de voir ça. Tom est né dans la maison, ici. La famille est là depuis 1933 », regrette Diane Dubois, en montrant les champs à perte de vue qui sont sur le point de se transformer en méga-usine. 

Paysages bucoliques dévastés

Lors de la visite du Journal, le couple était à fleur de peau en voyant la destruction du paysage, au loin, qui s’approche dangereusement de sa ferme.

« Ce sont les meilleures terres cultivables et ils veulent mettre une usine », s’impatientait son mari, Tom Martin, oscillant entre tristesse et colère.  

« On a des milliers de terres de grade 2 ou 3, mais ils viennent ici, sur une terre de grade 1. Cela peut mettre à risque la sécurité alimentaire », va-t-il jusqu’à dire.

En marchant dans ses champs, Tom Martin montre ses précieux milieux humides qui viennent irriguer ses cultures de soja et de maïs. 

Il raconte n’avoir jamais eu besoin d’arroser les plantations parce que l’eau s’écoule naturellement d’un bassin à l’autre en venant abreuver ses cultures.

Mais depuis qu’il sait que Volkswagen s’en vient, il craint de manquer d’eau ou de voir sa qualité se dégrader. Jamais il n’aurait pu imaginer un tel scénario.

Plus de voisins, plus d’amis

Au Journal, Diane Dubois et Tom Martin disent craindre ce qui les attend. Une méga-usine de batterie de plusieurs milliards de dollars de cette ampleur anéantira le paysage pour de bon, appréhendent-ils.

C’est un monstre gourmand de lumière, qui peut avoir faim à tout moment, et s’étirer jusqu’à leur maison, s’inquiètent-ils. La destruction de la nature qui vient avec un tel projet les rend nerveux depuis quelques semaines.

« On a pris le temps de planter 1000 arbres entre nos boisés et 2000 autres de l’autre côté. Or, on les voit en arracher plus loin avec des bulldozers. Ça brise le cœur », lâche Diane Dubois, la voix nouée.

Photo: Francis Halin

« Ils ont commencé en achetant 800 acres. Les terrains ont été achetés », explique Tom Martin, qui ne croyait pas devoir vivre ce cauchemar de sa vie. 

Une parcelle de terre à la fois, le terrain s’est agrandi en avalant les fermes avoisinantes. Aujourd’hui, sa communauté s’est envolée.

« Notre voisinage est parti. Nos amis, nos voisins, ils ont disparu », soupire-t-il. 

Une loi adoptée à toute vitesse

Au Journal, Diane Dubois pointe du doigt la loi 63, adoptée en un rien de temps par le gouvernement de Doug Ford pour obtenir les terres nécessaires pour Volkswagen. 

Dans la région, cette loi passée en quatrième vitesse a fait beaucoup de bruit. 

De nombreux voisins de Diane et Tom ont vendu leur maison et leur ferme pour faire de la place au géant européen, mais ils ne peuvent pas parler parce qu’ils sont liés à des ententes de confidentialité béton.

Sur sa table de cuisine, Diane Dubois présente une copie de la loi.  

Première lecture : 22 février 2023. Deuxième lecture : 23 février 2023. Troisième lecture : 28 février 2023. Adoption : 2 mars 2023 à l’Assemblée législative de l’Ontario. 

« C’est le premier ministre Doug Ford qui a fait cette loi-là pour donner des bouts de terre à St. Thomas pour qu’elle puisse attirer Volkswagen », précise-t-elle.

À voir aussi : Antoine Joubert présente le Volkswagen ID.4

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