Rolls Royce Phantom, le carrosse de Sa Majesté

Tel que publié dans le Guide de l'auto 2004

L'histoire entourant la prise de contrôle par BMW de la célèbre marque Rolls-Royce demeure aussi abracadabrante que les nombreuses alliances entre les familles régnantes de leurs pays d'origine. Au terme d'un chassé-croisé d'ententes rocambolesques entre Volkswagen, Rolls-Royce, Vickers et BMW, le nom Rolls-Royce et le droit de construire une automobile de même dénomination sont finalement tombés dans la besace du constructeur à l'hélice.

Pour certains sujets de Sa Majesté, cette alliance semble aussi shocking que si la princesse Diana avait eu un enfant adultérin avec le chancelier Gerhard Schröder, mais pour d'autres, cette réalisation puise dans les forces vives des deux nations, et son succès ne fait pas de doute. Personne ne s'attendait vraiment que l'équipe anglo-allemande réussisse, en seulement quatre années, à construire une nouvelle usine de 33 000 m2, à dessiner une voiture complètement inédite et à en assurer la production. Pourtant, la réalité a dépassé la fiction, puisque je me suis retrouvé le 2 janvier 2003 à Goodwood, dans le Sussex (Angleterre) pour visiter la « manufacture » où l'on assemble désormais la Phantom, au rythme syncopé de trois par jour. Vous dire que je ne m'ennuyais pas de la tourtière de la veille serait pur euphémisme.

Certains esprits coquins avancent que les lignes de cette Rolls semblent le fruit d'un croisement entre une vieille Daimler et un camion tracteur Peterbilt. La partie avant extrêmement massive apparaît en effet inachevée, mais elle se défend beaucoup mieux « en personne » qu'en photo. La calandre comporte toujours ses 11 lamelles réglementaires de chaque côté, et la fameuse mascotte Flying Lady, ou Spirit of Extasy semble encore s'élancer vers l'infini, jusqu'à ce que le propriétaire, en appuyant sur un interrupteur, décide de la soustraire aux mains avides de la plèbe. La Phantom ne laisse personne indifférent avec son interminable empattement, sa large custode qui dissimule les occupants arrière et les colossaux pneus d'un diamètre hors tout de 31 pouces (79 cm) intégrant le système PAX (increvables) de Michelin.

L'héritage est sauf

Pénétrons à l'intérieur après avoir ouvert la portière grâce à des poignées longues comme celles d'un cercueil, pour prendre place (trôner ?) dans le fauteuil du conducteur (chauffeur ?) situé à une hauteur telle qu'il vous procure une vue que les Britanniques qualifient à juste titre de commanding. Le volant à trois branches de large diamètre présente un mince boudin, mais les fidèles de la marque seront ravis de retrouver une planche de bord comprenant les commandes traditionnelles comme les tirettes copiées sur celles d'un orgue. Quelques instruments vous permettent de conserver un minimum de contact avec la réalité, mais ne cherchez pas un vulgaire tachymètre. Par ailleurs, un interrupteur fait basculer la petite horloge encastrée au centre de la planche de bord pour faire apparaître un écran multifonctionnel, genre iDrive de la Série 7, mais plus convivial.

La noblesse des matériaux garnissant l'habitacle ne renie pas l'héritage de la marque. Chaque centimètre carré est recouvert de bois exotique, de cuir incroyablement souple et odorant, de chrome profond et de tapis de laine aux poils tellement longs qu'un banlieusard maniaque de gazon aurait envie de sortir son taille-bordures. Après avoir actionné des portières gigantesques qui s'ouvrent dans le sens contraire à la circulation, les occupants à l'arrière y pénètrent tête première, comme il se doit dans le grand monde, car il n'y a pas de seuil. Ils peuvent s'abandonner littéralement dans des fauteuils aussi confortables que somptueux, et l'espace pour les genoux se compte presque en mètres.

Elle « rocke » un peu, cette Rolls

La « clef de contact », en forme de petit rectangle, se glisse dans une fente située dans la planche de bord, et sous la pression d'un bouton démarreur, le moteur s'anime, à tous les coups, avec deux alternateurs et deux batteries pour assurer la charge. D'ailleurs, s'anime est un bien grand mot, car il demeure aussi discret au ralenti qu'un fidèle majordome. Pourtant, lorsque le petit levier de vitesses (à sélection électrique) sur la colonne de direction arrive en position « Drive », la grande dame peut, avec une célérité déconcertante, couvrir de ridicule la plupart de ses contemporaines. Gracieuseté de BMW, son V12 à injection d'essence directe d'une cylindrée de 6,8 litres libère 453 fiers chevaux et entraîne à belle allure cette énorme masse de près de 2500 kilos. Le châssis arrive de Dingolfing, en Allemagne, et la carrosserie construite à l'usine est en grande partie réalisée en aluminium. La boîte de vitesses automatique à six rapports, une ZF d'origine allemande, jongle soyeusement avec ses engrenages, et le 0-100 km/h est terrassé en un peu moins de 6 secondes.

Sur la route, les suspensions pneumatiques vous font lever le nez sur la plupart des défauts du revêtement, mais comme elles sont dépourvues d'un mécanisme compensant le roulis et le tangage, le passage des courbes infère une certaine gîte au beau carrosse, et ce, malgré une répartition du poids idéale. Le freinage confié à quatre disques empruntés probablement à un Boeing (374 / 370 mm) réussit facilement à dissiper l'énergie cinétique engendrée.

On peut à juste titre s'interroger sur la légitimité intrinsèque de ce genre de voiture, qui coûte aussi cher qu'une belle demeure. Sir Henry Royce, cofondateur de la marque, avait une réponse toute prête à cette question : « La qualité demeure bien longtemps après que le prix est oublié. »

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