Vous souvenez-vous de la… Jaguar S-Type?

Alors que Jaguar tente de se réinventer, il est bon de se rappeler qu’il ne s’agit pas de la première fois. Lorsque la S-Type a été présentée, le directeur général de Jaguar, Nick Scheele, avait déclaré qu’il s’agissait « de l’aube d’une nouvelle ère dans l’histoire de Jaguar ». Évidemment, rien ne s’est passé comme prévu…

Le dévoilement de la S-Type a eu lieu au Salon de l’auto de Birmingham, le 20 octobre 1998. À ce moment, Jaguar se porte très bien, merci. La marque s’apprête à battre son record de vente sur l’année 1998, à plus de 50 000 exemplaires, et tous les espoirs sont permis. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Lorsque Ford devient acquéreur en 1989 de la vénérable marque anglaise, fondée en 1922 par Sir William Lyons pour construire des sidecars de moto, la situation est compliquée. Après avoir fait partie de British Leyland, Jaguar a retrouvé son indépendance en 1984 mais les ventes tournent à 30 000 exemplaires par année alors que les usines et les méthodes de fabrication sont d’une autre époque.

Photo: Jaguar

Avant de lancer une offensive produit, Ford va d’abord remettre la marque à niveau en termes de qualité et s’atteler à moderniser les sites de production. La première nouvelle Jaguar de l’ère Ford est la XJ X300, présentée au Salon de l’auto de Paris en octobre 1994. Et encore, « nouvelle » est un bien grand mot car il s’agit plutôt d’une importante mise à jour de la XJ40, présentée elle aussi à Paris, mais en 1986. Suivra au millésime 1996 la remplaçante de la XJ-S, la XK8 (nom de code X100), qui datait de… 1975! Enfin, la XJ sera à nouveau modernisée pour l’année modèle 1998 (nom de code X308) et recevra finalement un V8, le AJ V8. Il était alors temps d’aller concurrencer les Allemands et de faire grossir la gamme.

Les yeux plus gros que le ventre?

Le (très ambitieux) plan de Ford est tout simplement de faire de Jaguar un important joueur dans le domaine du luxe à l’échelle mondiale. L’idée est de doubler les ventes à 100 000 exemplaires par an avec le lancement de la S-Type (code X200) puis de les doubler à nouveau avec la X-Type (code X400), qui doit être commercialisée au millésime 2001. Quadrupler les ventes en 5 ans, voilà qui n’est pas rien! Pour cela, Ford va consentir d’importants investissements, que ce soit au niveau du développement des produits que des sites de fabrication. Le budget pour la S-Type est de 400 millions de livres, dont 200 alloués à la préparation l'usine de Castle Bromwich, dans la banlieue de Birmingham.

Alors que la XJ concurrence les Mercedes-Benz Classe S, BMW Série 7, Audi A8 et Lexus LS, le but de la S-Type est d’aller marcher sur les platebandes des BMW Série 5, Mercedes-Benz Classe E et Audi A6. On est habitués à voir Jaguar dans les hauts segments du marché mais il ne faut pas oublier que la marque anglaise a déjà commercialisé des modèles plus compacts, notamment les Mark I et Mark II (en photo ci-dessous).

Photo: Jaguar

Produites respectivement de 1955 à 1959 et de 1959 à 1967, elles offraient du luxe, de la performance et une excellente tenue de route à des prix défiant toute concurrence. La Mark I sera produite à 37 397 exemplaires et la Mark II à 83 976 exemplaires (plus 7 234 modèles 240 et 340 produits jusqu’en 1969 afin de combler avant l’arrivée de la XJ). La Mark II est considérée comme l’un des grands classiques de Jaguar. Une version plus huppée et plus longue sera introduite en 1963 et fabriquée jusqu’en 1968 à 24 963 exemplaires. Son nom? S-Type (en photo ci-dessous). Tiens, tiens, nous y voilà…

Photo: Jaguar

La conception de la X200 commence début 1995. C’est Goeff Lawson qui dirige l’équipe de designers. Celui-ci est rentré chez Jaguar en 1984 et c’est notamment lui qui a supervisé les lignes de la supercar XJ220. La thématique de style choisie « contemporary evolutionary » (évolutif contemporain) vise d’emblée à créer une version moderne de la Mark II. Cinq maquettes sont produites et celle choisie par la direction de Jaguar est envoyée chez Ford, à Dearborn, pour validation. Le feu vert est donné par les Américains en juillet 1995 pour finaliser le style. Ce qui sera fait avant la fin de l’année.

Photo: Jaguar

La plateforme, baptisée DEW98, est toute nouvelle et sera partagée avec la Lincoln LS ainsi que la Thunderbird « retrobird ». Elle servira également de base à la future Jaguar XF. L’ingénieur en chef du projet, Nick Barter, s’assurera par contre que les suspensions soient entièrement maison afin de continuer à offrir un toucher de la route typique de la marque anglaise. Les mécaniques sont également Jaguar… enfin presque. Si le AJ V8 est un développement réalisé complètement à l'interne, le AJ V6 reprend les bases du V6 Ford Duratec mais avec de nouvelles têtes comprenant le calage variable des soupapes.

Dessus rétros, dessous modernes

Ainsi donc, la S-Type est présentée en octobre 1998 et arrive sur les marchés européens en mars 1999. Les objectifs de ventes sont de 60 000 exemplaires par an (une certaine cannibalisation des ventes de la XJ est prévue par la marque). Nous n’allons pas ici parler de toutes les variantes disponibles sur les différents marchés (notamment l’excellent V6 diesel double turbo de 2,7 litres développé conjointement avec PSA Peugeot Citroën et qui a fait l’objet d’un reportage mémorable dans Top Gear) mais plutôt porter notre attention sur le marché canadien.

Photo: Jaguar

La S-Type arrive en Amérique du Nord pour le millésime 2000. Deux moteurs sont proposés : le V6 de 3 litres développant 240 chevaux et le V8 de 4 litres bon pour 281 chevaux. Tous deux sont couplés à une boîte automatique à 5 rapports d’origine Ford qui se charge de transmettre la puissance aux roues arrière. Une boîte manuelle à 5 rapports fournie par Getrag est disponible avec le V6 sur d’autres marchés.

Ce choix de ne pas inclure la manuelle en Amérique du Nord peut paraître surprenant, d’autant plus que la cousine Lincoln LS l’offre, elle. Les suspensions bénéficient de triangles doubles aux 4 roues alors qu’un système adaptatif CATS (Computer Active Technology Suspension) est disponible. La direction à crémaillère est à assistance variable. Jaguar n’a pas lésiné sur la technologie : faisceau électrique multiplexé, système de commande vocale et contrôle de stabilité.

La Jaguar est globalement bien accueillie par la presse spécialisée. Le Guide de l’auto, dans son édition 2000, apprécie son comportement routier, le silence de roulement, le confort et l’agrément du V8. Par contre, le V6 déçoit, tout comme l’habitabilité, le volume de chargement et le comportement de la boîte automatique.

De plus, la voiture d’essai a connu quelques problèmes électroniques et de finition (craquement du tableau de bord). Enfin, à 59 850 CAD pour la V6 et 69 850 CAD pour la V8, les tarifs sont jugés compétitifs (une Mercedes E320 demande alors 67 150 CAD, une E430 74 750 tandis que les BMW 528i et 540i coûtent respectivement 58 500 CAD et 74 200 CAD). Sur le papier, tout semble plutôt bien parti.

Photo: Jaguar

Plus de souffle et de l’essoufflement

Le modèle réalise un bon démarrage avec près de 53 000 ventes mondiales en 1999 et 2000. La S-Type profite de quelques améliorations mais c’est au millésime 2003 qu’elle va connaître chez nous d’importants changements. Elle reçoit un léger restylage extérieur (supervisé par Ian Callum, le remplaçant de Goeff Lawson, ce dernier étant décédé en juin 1999 à seulement 54 ans), une nouvelle planche de bord prend place dans l’habitacle, le V8 est réalésé à 4,2 litres (300 chevaux), la boîte automatique Ford à 5 rapports est remplacée par une unité ZF à 6 rapports, le V6 peut enfin recevoir la boîte manuelle Getrag et les suspensions sont profondément revues.

Photo: Jaguar

Mais la plus grosse nouveauté, c’est l’introduction de la S-Type R dotée d’un V8 de 4 litres à compresseur développant 400 chevaux et 408 lb-pi de couple. Il permet le 0 à 100 km/h en 5,5 secondes et le 80 à 120 km/h en 4,7 secondes. Cette bête reçoit une grille spécifique, des roues de 18 pouces cachant des freins Brembo, un discret aileron à l’arrière et la boîte automatique à 6 rapports. Elle est alors facturée 89 950 CAD.

Photo: Jaguar

Le millésime 2005 apporte de nouvelles légères modifications : nouveau capot en aluminium, retouches sur la planche de bord, nouvelles roues. Les puissances sont revues : 235 chevaux pour le V6, 294 chevaux pour le V8 et 390 chevaux pour le V8 à compresseur. Ces chiffres remontent à 300 et 400 chevaux respectivement pour les V8 et V8 à compresseur en 2006. Enfin, pour l’année modèle 2008, les versions V6 et V8 recevront les pare-chocs de la version R. La dernière S-Type, une R, sort des lignes le 18 septembre 2007. Elle est le véhicule numéro 291 386 (les R sont très rares, on parle d’environ 8 000 exemplaires pour le monde entier). Jaguar travaille alors intensivement à préparer la production de sa remplaçante : la XF.

Photo: Jaguar

Rétro c’est trop!

Les années 1999 et 2000 seront les meilleures pour la S-Type. Après, les ventes vont progressivement baisser et la production sera de seulement 11 000 exemplaires en 2007. Le modèle n’a jamais atteint ses objectifs commerciaux et ne sera pas l’outil de croissance espéré. Il y a deux raisons essentielles. Tout d’abord, la X-Type va cannibaliser une partie des ventes potentielles de la S-Type. Mais c’est surtout le style rétro qui sera la source de la mévente du modèle. Face à des allemandes modernes et présentant des lignes distinctives, la Jaaag’ (comme dirait Jeremy Clarkson) offrait un côté « vieille Angleterre » qui n’a pas forcément plu.

Photo: Jaguar

Dévoilée en même temps que la S-Type au salon de Birmingham 1998, la Rover 75 recevra la même critique et connaîtra un pire sort. Ce semi-échec forcera Jaguar à revoir toute sa stratégie de design. Lancée pour le millésime 2009, la XF sera la première Jaguar du 21ième siècle à faire table rase du passé. Il était temps!

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