Ford Fairlane 1962-65 : l’intermédiaire sort du vestiaire
Le lancement de la Fairlaine au millésime 1962 va marquer l’émergence d’un nouveau segment de marché : les intermédiaires. Mais qui dit nouveau modèle ne dit pas forcément nouvelle plateforme. Ford va faire du neuf avec du vieux… enfin, du plus tout à fait neuf.
Jusque dans les années 50, les choses étaient relativement simples : à part quelques constructeurs indépendants ou quelques hurluberlus qui offraient des petites voitures, il n’y avait essentiellement qu’une taille d’autos américaines : les standards, que l’on appellerait aujourd’hui pleine grandeur. Et puis, les marques européennes ont débarqué au lendemain de la Seconde guerre mondiale avec leurs modèles de taille compacte. On pense bien évidemment tout de suite à la Volkswagen Beetle mais on pourrait ajouter des marques comme Renault ou Fiat.
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Sans oublier les constructeurs anglais avec les petits roadsters…et ça, c’est avant l’arrivée des marques japonaises. La montée en puissance des véhicules importés fait initialement sourire les grands de Detroit. Mais au milieu des années 50, ils commencent à rire jaune. Et avec la récession de 1957/58, ils ne rient plus du tout. Il faut dire que Rambler, marque appartenant à l’American Motors Corporation issue de la fusion de Nash-Kelvinator et Hudson, arrive pile-poil au bon moment avec des modèles plus petits : l’American (qu’y a-t-il de moins américain qu’un char compact?), la Six et la Rebel. La première repose sur un empattement de 100 pouces (2,54 m) et les deux autres sur un empattement de 108 pouces (2,74 m). Studebaker suivra en 1959 avec sa Lark, offrant un empattement de 108,5 (2,76 m) ou 113 pouces (2,87 m) pour les familiales.
La réponse
C’est dans ce contexte que répondent simultanément les Trois Grands de Detroit. C’est pour le millésime 1960 que sont présentées les Chevrolet Corvair, Plymouth Valiant et Ford Falcon. La GM est très inspirée de la Beetle (moteur refroidi par air monté à l’arrière), la Chrysler étonne par ses lignes tout sauf conventionnelles et la Falcon est de loin la plus classique des trois. Il s’agit d’un engin utilitaire, sans le moindre frisson. Il faut dire que le dirigeant de Ford qui a établi les grandes lignes du projet, Robert McNamara, est un statisticien de formation. Il n’y a pas de fumée sans feu…

Nous n’allons pas revenir ici sur l'histoire de la conception de la Falcon. Pour cela, vous pouvez vous référer à ce texte sur le site du Guide de l’auto. Il faut simplement retenir que Ford va développer pour cette propulsion un tout nouveau châssis monocoque, solide et simple, ainsi qu’un tout nouveau 6 cylindres en ligne de 144 pouces cubes (2,4 litres). La Falcon sera déclinée en 2 portes, 4 portes, familiale 2 ou 4 portes, « ute » (avant classique et arrière de pick-up) Ranchero et même en utilitaire Econoline, montrant ainsi la grande polyvalence de sa plateforme.
La Falcon sera la plus vendue des compactes des trois grands. Sauf qu’entre une Falcon avec un empattement de 109,5 pouces (2,78 m) et une Ford Custom, Fairlane ou Galaxie 1960 (voir photo ci-dessous) reposant sur un empattement de 119 pouces (3,02 m), n’y aurait-il pas de la place pour un autre modèle?

Des millimètres çà et là
Comme vous avez pu le constater, le nom Fairlane est déjà présent dans la gamme Ford. Il a été introduit comme haut de gamme au millésime 1955 (voir photo ci-dessous). Ce nom est un hommage à la propriété appartenant au fondateur de la compagnie, Henry Ford, qui y a habité de 1915 jusqu’à sa mort en 1947. C’est en 1959 que la Fairlane a été supplantée par la Galaxie au sommet de la gamme Ford. Et c’est donc en 1962 que le nom va jouer un tout nouveau rôle, celui de la gamme intermédiaire, avec sa cousine la Mercury Meteor, qui ne sera commercialisée que deux ans.

Ce sont des études de marché qui vont révéler qu’il existe bel et bien un segment entre les compactes et les pleine grandeur. Certaines compactes, comme la Pontiac Tempest présentée en 1961, sont déjà aux limites du segment en matière de dimensions. Ford va s’inspirer du mot « entre » quasiment à la lettre pour créer la Fairlane, avec un empattement presque exactement entre celui des Falcon et Galaxie (respectivement 109,5 et 119 pouces). La plateforme de la Falcon va de nouveau faire preuve de son adaptabilité puisque c’est elle qui va être étirée dans tous les sens pour servir de base à la Fairlane (voir tableau des dimensions ci-dessous). Pourtant, au Canada, elle est présentée comme « Une voiture entièrement nouvelle » (notamment par ses dimensions et son prix).
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4 portes 1962 (dimensions en mm) |
Fairlane |
Falcon |
|
Empattement |
2934 |
2781 |
|
Longueur |
5004 |
4600 |
|
Largeur |
1811 |
1793 |
|
Hauteur |
1410 |
1384 |
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Voie avant |
1448 |
1397 |
|
Voie arrière |
1422 |
1384 |
|
Poids à vide (6 cylindres, kg) |
1290 |
1091 |
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Hauteur plafond avant |
991 |
988 |
|
Hauteur plafond arrière |
965 |
947 |
|
Espace aux jambes avant |
1186 |
1140 |
|
Espace aux jambes arrière |
1052 |
1024 |
|
Largeur aux hanches avant |
1488 |
1450 |
|
Largeur aux hanches arrière |
1488 |
1448 |
|
Largeur aux épaules avant |
1440 |
1405 |
|
Largeur aux épaules arrière |
1448 |
1400 |
|
Volume coffre (L) |
821 |
671 |
Comme vous pouvez le constater, les cotes d’habitabilité sont logiquement en progrès, ainsi que le volume de chargement. Le style, quant à lui, est dans la lignée des Galaxie, notamment avec les feux ronds à l’arrière soulignés par de petits ailerons inspirés par la Thunderbird.

Un V8 qui va faire du chemin
La Fairlane arrive sur le marché plus tard que les autres modèles Ford 1962, soit le 16 novembre 1961. Il y a alors les variantes Fairlane et Fairlane 500, toutes deux disponibles en berline 2 ou 4 portes. La 500 se distingue par un équipement (un peu) plus riche comprenant des finitions extérieures plus élégantes, de meilleures garnitures intérieures, l’allumage automatique du plafonnier et l’allume-cigarette. Évidemment, les options ne manquent pas : direction et freins assistés, radio AM, haut-parleur arrière, pneus à flanc blanc, essuie-glace à 2 vitesses, pare-brise teinté, alternateur renforcé, distributeur de papier-tissu…
L’offre mécanique de base est un 6 cylindres en ligne de 170 pc (2,8 litres, voir tableau des moteurs en fin de texte), déjà vu dans la Falcon, couplé à une boîte de vitesses manuelle à 3 rapports. En option, l’acheteur peut ajouter un tout nouveau V8 de 221 pc (3,6 litres) développé pour la Fairlane et baptisé Challenger. Ce bloc relativement compact et léger connaîtra d'importantes évolutions de cylindrée (jusqu’à 351 pc) et d’alimentation et fera les beaux de nombreux modèles Ford, y compris les Thunderbird et Mustang, ou non Ford comme les Sunbeam Tiger ou Panoz Roadster. Il sera produit jusqu’en 2002. Une boîte automatique Fordomatic à 2 rapports est également disponible ainsi qu’un overdrive sur les V8 à boîte manuelle.
Au lieu d’être au milieu entre la Falcon et la Galaxie, le prix de base de 2 216 USD/2 481 CAD est plutôt proche de la première (qui demande 2 047 USD/2 333 CAD) que de la seconde (démarrant à 2 507 USD/2 846 CAD, tarifs pour des 2 portes 6 cylindres). En cours d’année, Ford ajoutera une version 260 pc du V8 (4,3 litres) et une variante Sports Coupe qui se distingue par ses sièges baquets, sa console centrale et ses garnitures différentes. La Fairlane sera généralement bien accueillie par la presse spécialisée ainsi que par les clients. Elle réalisera près de 297 000 ventes (voir tableau de production en fin de texte), à mettre en comparaison avec les 418 539 Falcon produites pour cette année modèle.

Évolutions constantes
Les nouveautés ne vont pas manquer pour le millésime 1963. Esthétiquement, on retrouve une calandre redessinée avec des phares intégrés à la grille. Deux nouvelles carrosseries sont également proposées. Le coupé hardtop, avec un toit rabaissé inspiré des Thunderbird, est offert avec les Fairlane 500 (avec ou sans sièges baquets). La familiale voit sa longueur portée à 201,8 pouces (5,13 m) et peut recevoir une troisième banquette donnant vers l’arrière. Le volume de chargement peut atteindre jusqu’à 2 441 litres. Elle est offerte en trois finitions : Ranch (Fairlane), Custom Ranch et Squire (Fairlane 500, la dernière venant avec des côtés en faux bois).

Deux moteurs sont ajoutés : un 6 cylindres 200 pc (3,3 litres) qui prend la place du 170 pc lorsque la boîte automatique est commandée et un V8 289 pc avec des poussoirs mécaniques et un carburateur 4 corps. Bon pour 271 chevaux, il va donner un méchant pep à la Fairlane, d’autant plus qu’il peut être couplé à la nouvelle transmission manuelle à 4 rapports. Une nouvelle boîte manuelle à 3 rapports entièrement synchronisée vient de série avec les V8 (l’ancienne est encore installée avec les 6 cylindres). Malgré toutes ces nouveautés, la production ne progresse que de 15,7%.

Ford ne lève pas le pied pour le millésime 1964. Les calandres sont de nouveau redessinées, les décorations latérales sont modifiées et les ailerons arrière disparaissent. La familiale Squire est retirée du catalogue, tout comme le V8 de 221 pc. C’est donc le 260 pc qui prend le relais dans le rôle du V8 économique tandis qu’une version à carburateur double corps du 289 pc offre plus de puissance. Au Canada, le 289 pc de performance n’est plus proposé. Le 260 pc peut toujours recevoir la boîte automatique Fordomatic à 2 rapports tandis que les 289 peuvent bénéficier de la Cruise-O-Matic à 3 rapports ou de la manuelle à 4 rapports. Il reste enfin une version très spéciale dont nous allons parler plus loin. La production baisse cependant de 19,3%. La faute revient grandement à GM, qui vient de lancer ses intermédiaires : Chevrolet Chevelle, Pontiac Tempest, Oldsmobile F-85 et Buick Special sur un empattement de 115 pouces (2,92 m, pour les berlines).

De gros investissements… pour un an seulement!
Ford va procéder à une opération assez curieuse pour le millésime 1965 : redessiner presque entièrement la Fairlane (seules les lignes de toit seront conservées). Assez curieux en effet car un tout nouveau modèle est prévu pour 1966. Le style est beaucoup tranché, les arêtes plus marquées. À l’arrière, les feux deviennent rectangulaires. L’empattement passe à 116 pouces (2,95 m).

Le 6 cylindres de 170 pc et le V8 260 pc ne sont pas reconduits. Seul le 289 assure les besoins en V8, mais en trois configurations avec une nouvelle version à carburateur 4 corps de 225 chevaux (le 271 chevaux est de retour au Canada). Le retrait du 260 pc entraîne celui de la transmission Fordomatic.
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1962 |
1963 |
1964 |
1965 |
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|
6 cylindres 170 pc (2,8 litres) |
S (101 chevaux) |
S (101 chevaux) |
S (101 chevaux) |
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|
6 cylindres 200 pc (3,3 litres) |
O (116 chevaux) |
O (116 chevaux) |
S (120 chevaux) |
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|
V8 221 pc (3,6 litres) |
O (145 chevaux) |
O (145 chevaux) |
||
|
V8 260 pc (4,3 litres) |
O (164 chevaux) |
O (164 chevaux) |
O (164 chevaux) |
|
|
V8 289 pc (4,7 litres) |
O (271 chevaux) |
O (195 / 271 chevaux) |
O (200 / 225 / 271 chevaux) |
Ces évolutions ne vont pas forcément plaire à la clientèle et la production est encore en baisse de 19,3%. D’autant qu’il y a maintenant une méchante concurrence interne qui s’appelle… Mustang!
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1962 |
1963 |
1964 |
1965 |
Total |
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|
Fairlane |
|||||
|
Berline 2 portes |
34 264 |
28 984 |
20 421 |
13 685 |
97 354 |
|
Berline 4 portes |
45 342 |
44 454 |
36 693 |
25 378 |
151 867 |
|
Familiale 4 portes |
24 006 |
20 980 |
13 911 |
58 897 |
|
|
Fairlane 500 |
|||||
|
Berline 2 portes |
68 624 |
34 764 |
23 447 |
16 092 |
142 927 |
|
Berline 4 portes |
129 258 |
104 175 |
86 919 |
77 836 |
398 188 |
|
Sports coupé |
19 628 |
19 628 |
|||
|
Hardtop coupé |
69 909 |
64 164 |
56 546 |
190 619 |
|
|
Familiale 4 portes |
37 595 |
24 962 |
20 506 |
83 063 |
|
|
Total |
297 116 |
343 887 |
277 586 |
223 954 |
1 142 543 |
Grâce à des coûts de développement réduits, la première génération de Fairlane aura été un bon coup pour Ford. Chrysler, GM et AMC vont suivre la tendance. Produite en 1966 et 1967, la seconde génération de Fairlane continuera à bien se vendre, malgré une concurrence accrue. Durant les années 60, c’est avec des modèles intermédiaires que va se livrer la guerre des muscle cars. Mais ceci est une autre histoire…

Coup de tonnerre!
En 1962, Ford inaugure le programme de compétition « Total Performance » et commence à s’impliquer dans plusieurs séries. Si la marque à l’ovale bleu réalise de belles performances en NASCAR, elle peine en drag racing face à Chrysler et à GM. La Galaxie est trop lourde. Les ingénieurs de Ford vont alors effectuer une greffe assez radicale : installer le 427 pc (7 litres) de la Galaxie dans la Fairlane, plus légère. Mais ce bloc rentre au chausse-pied sous le capot de cette dernière et il va falloir revoir beaucoup de choses. Ce V8 est une bête : deux carburateurs 4 corps Holley de 720 cfm, poussoirs mécaniques, taux de compression de 12,7:1. Ford annonce de façon conservatrice 425 chevaux mais, dans la réalité, il est plus proche des 500 chevaux, voire des 550 chevaux!
Il peut être couplé soit à une boîte manuelle Borg-Warner T10 à 4 rapports ou à automatique 3 rapports d’origine Lincoln mais assez fortement modifiée. Pour faire de la place, les points d’ancrage des suspensions avant sont modifiés et la batterie passe dans le coffre. Le rapport de pont arrière très court (4,57:1) rend tout simplement l’auto inutilisable sur la route. Les suspensions arrière sont aussi revues et des traction bars sont ajoutées.
Tout est fait pour gagner du poids : les portes, capot (avec une bosse proéminente), ailes avant et même, dans certains cas, le pare-chocs avant sont en fibre de verre (sinon ce sera de l’aluminium pour les pare-chocs avant), les vitres latérales et arrière sont en plexiglas, toute l’insonorisation est enlevée, ainsi que les pare-soleil, radio, chauffage, enjoliveurs, essuie-glace côté passager, accoudoirs, rétroviseurs, moquette, tapis de coffre, cric et roue de secours. L’instrumentation est par contre complète. Le poids final sera de 3 225 livres (1 463 kilos).

La fabrication de ces autos est confiée à la société Dearborn Steel Tubing sur des bases de Fairlane 500 coupé 1964. Exactement 100 Thunderbolt seront construites. Les 11 premières seront de couleur « vintage burgundy » tandis que les 89 autres seront toutes « Wimbledon white ». Comme ce sont des autos très spéciales et de petite série, Ford fait ajouter un autocollant dans la boîte à gants qui explique « Ce véhicule a été construit spécialement comme une voiture de compétition légère et comprend certains composants en fibre de verre et en aluminium. En raison de l'usage spécialisé pour lequel cette voiture a été construite et afin d'obtenir une réduction de poids maximale, les normes de qualité normales de la Ford Motor Company en termes d'ajustement des panneaux extérieurs et d'apparence de surface ne sont pas respectées sur ce véhicule. Ces informations sont incluses sur ce véhicule pour garantir que tous les clients qui achètent cette voiture sont conscients de l'écart par rapport aux normes de qualité d'apparence élevées habituelles de la Ford Motor Company. »
Et si cela ne suffisait pas, les acheteurs devaient signer une décharge de responsabilité renonçant totalement à la garantie et expliquant que le conducteur exonère le constructeur et le concessionnaire de « toute responsabilité pour blessures corporelles ou dommages matériels qu'il pourrait subir du fait de l'utilisation ou du fonctionnement de chaque voiture. » Le ton était donné!
Les autos étaient facturées aux concessionnaires 3 780 USD en manuel et 3 980 USD en automatique… alors qu’elles coûtaient à Ford plus de 5 500 USD. Qu’importe, la Thunderbolt remplira parfaitement sa mission et remportera de nombreux titres NHRA (National Hot Rod Association) durant la saison 1964. Avec les victoires aux 24 Heures du Mans qui s’en venaient à partir de 1966, le nom « Total Performance » prenait alors tout son sens !






