Maserati Quattroporte II : alliance contre nature

Maserati au moteur, Citroën à la tenue de route, Marcello Gandini au design : que des parrains de prestige! Mais cela ne suffit pas toujours, spécialement quand l’Histoire, avec un grand H, vient s’en mêler.

Maserati est fondée en 1914 à Bologne, en Italie. Elle est rachetée par Adolfo Orsi en 1937. Il fait déménager le quartier général à Modène en 1940, où il se trouve encore aujourd’hui. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la compagnie redémarre son activité de fabrication d’autos de sport, centrées autour d’un V8. C’est au Salon de l’auto de Turin 1963 qu’elle diversifie sa gamme en présentant la Quattroporte, code d’usine Tipo AM107. Cette berline 4 portes, d’où le nom, bénéficie de lignes signées Pietro Frua et d’un V8 de 4,1 litres développant 260 chevaux. Lorsque la marque introduira la série 2 en 1966, elle ajoutera une version de 4,7 litres donnée pour 286 chevaux. Au total, 776 exemplaires de la Quattroporte de première génération seront fabriqués jusqu’en 1969.

Photo: Maserati

Les chevrons sauvages

Il faut maintenant parler du second protagoniste de cette histoire : Citroën. Fondée en 1919, la marque est devenue spécialiste de la traction avant en lançant la… Traction Avant en 1934. Le développement de ce modèle a été compliqué et coûteux et lorsque les premiers exemplaires connaissent des problèmes, le constructeur est en grande difficulté financière et est racheté par le fabricant de pneus Michelin la même année.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la marque aux chevrons présente la 2CV, dotée d’une suspension unique. Puis arrive son chef-d’œuvre au Salon de l’auto de Paris 1955 : la DS. Conçue sous la direction de l’ingénieur André Lefebvre, dessiné par Flaminio Bertoni, elle reçoit une inédite suspension hydropneumatique inventée par Paul Magès. Sa centrale hydraulique permet également de commander la direction, l’embrayage et la boîte de vitesses. À son lancement, la DS a 20 ans d’avance sur tout ce qui roule. Vingt ans plus tard, lorsque le dernier exemplaire sortira des lignes de l’usine du quai de Javel, personne n’aura réussi à la rattraper.

Photo: Citroën

Mais si Citroën est une maison d’ingénieurs, elle est moins un motoriste. Le développement coûteux de la DS fera en sorte qu’elle recevra le 4 cylindres 1,9 litre originaire de la Traction Avant. Certes, la puissance montera grâce à différents réalésages et à l’ajout de l’injection électronique, mais la DS n’aura jamais un moteur prestigieux digne de son châssis.

Pourtant, Citroën est bien consciente des capacités de sa technologie et commence à travailler sur une « Super DS » au milieu des années 60. La marque contacte Giulio Aliferi, directeur technique de Maserati, pour la conception d’un moteur. Celui-ci développe un V6 de 2 670 cm3 à double arbre à cames en tête alimenté par 3 carburateurs Weber et produisant 170 chevaux. La relation entre Maserati et Citroën se précise en janvier 1968 lorsqu’un accord de coopération relatif à la conception, la fabrication et la vente d’automobiles est signé. Trois mois plus tard, le constructeur français devient l’actionnaire majoritaire de l’officine modénoise. Il s’agit d’une période faste pour Citroën, qui a également racheté Panhard en 1965.

Sa Majesté

La fameuse « Super DS » est présentée en mars 1970 au Salon de l’auto de Genève. Cette 2+2 s’appelle SM, pour projet S Maserati, mais beaucoup vont la surnommer « Sa Majesté » car il est vrai qu’elle est un peu la reine de la route. Si la puissance est vue comme un tantinet juste face à certaines italiennes ou allemandes (avec une vitesse de pointe de 220 km/h tout de même), personne ne peut la suivre en termes de tenue de route. La suspension hydropneumatique à correcteur automatique d’assiette est combinée à une direction à rappel asservi DIRAVI avec assistance variable en fonction de la vitesse et à 4 freins à disque. Grâce à sa boîte manuelle à 5 rapports, elle sera une autoroutière exceptionnelle et sa rampe de 6 phares à iode à assiette constante (dont deux directionnels) lui permettra de traverser l’Europe en toute sécurité. Et n’oublions pas ses lignes… majestueuses, dues au designer Robert Opron, qui a remplacé Bertoni à la tête du style Citroën en 1964.

Photo: Citroën

Mais la reine a un point faible : son moteur Maserati, justement. Celui-ci connaîtra de nombreux problèmes et donnera à l’auto une mauvaise réputation. Ce V6 recevra une injection électronique fin 1972 et sa puissance montera à 178 chevaux. La SM est exportée vers l’Amérique du Nord à partir de fin 1971. Elle y reçoit un accueil dithyrambique par la presse spécialisée (elle sera, en 1972, la première voiture non américaine à recevoir le titre de « Voiture de l’année » du magazine Motor Trend).

Les modèles américains, avec une boîte automatique à 3 rapports Borg Wagner et plus rarement en manuelle, bénéficient d'une variante de 2 965 cm3 du V6 développant 190 chevaux (chiffre SAE). Les versions automatiques de 3 litres seront également vendues en Europe.

En plus de ses problèmes de fiabilité, la SM va souffrir d’une complication de l’histoire : le choc pétrolier d’octobre 1973. Celui-ci va mettre à terre une carrière déjà limitée et la production sera arrêtée en septembre 1975 après seulement 12 920 exemplaires. Et la crise du pétrole ne va pas faire du mal qu'à la SM.

Photo: Citroën

Sa Majesté 4 portes

Si Maserati est sous la direction de Citroën, la marque française laisse les Italiens « relativement » indépendants. Une berline 4 portes, code d’usine Tipo AM121, est développée à partir de 1971 sur la commande exclusive du prince l’Aga Khan. Maserati envisage qu’elle puisse devenir la nouvelle Quattroporte. Mais seulement 2 exemplaires seront produits. Car Citroën se mêle de l’affaire (d’où les guillemets autour de relativement). Les Français souhaitent amortir les coûts de développement très élevés de la SM sur plus qu’un seul modèle.

C’est là que commence l’étude de la Quattroporte II, code d’usine Tipo AM123. L’auto recevra une variante allongée du châssis de la SM, son V6, sa boîte de vitesse et ses suspensions hydropneumatiques. Ce qui fait que, logiquement, il s’agira d’une traction avant. Oui, oui, une traction avant chez Maserati dans les années 70. Vous imaginez bien que cela va faire lever quelques sourcils.

Photo: Maserati

Le moteur est ici dans sa variante 3 litres mais la puissance indiquée est de 210 chevaux, soit 20 de plus que SM. Il semblerait que ce soit la version installée dans le coupé Merak SS, qui sera présenté au Salon de l’auto de Genève en mars 1975, spécifique à Maserati. Mais à cause du poids conséquent (1 700 kilos), la Quattroporte II ne dépassera pas les 200 km/h.

Le style est signé par Marcello Gandini, employé alors chez Bertone. L’auto est longue (empattement de 3 070 mm et longueur de 5 130 mm), basse (1 370 mm) et assez élégante sans être véritablement innovante. On a connu Gandini plus inspiré! Et si les lignes vous laissent comme un goût de déjà-vu, il faut se rappeler qu’il a travaillé sur le concept BMW 2200 ti Garmisch, présenté en 1970, et la première BMW Série 5, la E12, présentée en 1972. En regardant les 2 photos ci-dessous, cela devrait vous sauter aux yeux.

Photo: BMW
Photo: BMW

On retrouve la même ouverture de capot débordant sur les côtés que sur la Série 5, gimmick de style qui est également reproduite à l’arrière. Le montant arrière intègre le trident, emblème traditionnel de la marque. L’avant reçoit la rangée de phares de la SM, placés sous une nouvelle verrière. L’intérieur reprend aussi de nombreux composants de la Citroën, celui qui saute le plus aux yeux étant le levier de vitesses.

Photo: Maserati

Le pétrole flambe, Citroën coule

C’est au Salon de l’auto de Paris, en octobre 1974, qu’est dévoilée la Maserati Quattroporte II. Il s’agit du premier prototype du modèle. Les amateurs de Citroën pourront reconnaître les enjoliveurs de DS. L’intérieur intègre un tableau de bord avec affichage à cristaux liquides mais celui-ci ne sera installé que sur le prototype (les modèles de « série » auront des cadrans classiques). Le début de la production est alors prévu pour janvier 1975 et une version de 3,2 litres était apparemment en cours développement.

Photo: Maserati

Mais la situation de Citroën est catastrophique à ce moment. La marque s’est lancée dans des projets coûteux (le moteur rotatif, le développement de la CX, remplaçante de la DS) dont certains sont sérieusement barrés (par exemple un hélicoptère à moteur rotatif). La crise du pétrole a fait tomber le château de cartes et en 1974, le constructeur est au bord de la faillite.

C’est Peugeot, fortement motivé par l’état français, qui se portera progressivement acquéreur de Citroën à partir de décembre 1974. Les comptables du constructeur sochalien sont bien déterminés à mettre de l’ordre dans les affaires, et rapidement!

Le sauveur de Maserati… pas de la Quattroporte II

En mai 1975, Citroën annonce la mise en liquidation de Maserati. La Quattroporte II est à l'arrêt. En août 1975, un accord est trouvé avec l’état italien au travers de la GEPI, une société d’investissement gérée par le gouvernement, et Alejandro de Tomaso. Argentin de naissance, celui-ci a immigré en Italie en 1955. Il deviendra pilote avant de fonder sa propre marque en 1959. On le verra se lier d’amitié avec Lee Iacocca lors de la conception de la De Tomaso Pantera, amitié qui volera en éclat après la débâcle de la Chrysler TC by Maserati. Industriel astucieux et opportuniste, il se portera acquéreur dans les années 60 et 70 de Ghia, Vignale, Benelli, Moto Guzzi et Innocenti.

Dès ses premiers jours à la tête de Maserati, il vire l’ingénieur Alfieri, qui ira par la suite travailler pour Lamborghini. Peu après, il lance le développement de la Quattroporte III et de celle qui allait réellement revitaliser la marque dans les années 80 : la Biturbo. Mais la Quattroporte II, relique de l’époque Citroën, n’est pourtant pas retirée du catalogue.

L’auto n’est tout simplement pas homologuée dans les pays de l’Union européenne. Il reste alors l’Espagne (qui ne fait pas encore partie de la Communauté économique européenne, la CEE) et quelques pays du Moyen-Orient. Elle sera proposée jusqu’en 1978 et sera fabriquée à 12 exemplaires (plus le prototype). Un pur fiasco!

Photo: Maserati

Présentée en 1979, la Quattroporte III reviendra aux fondamentaux. Sous des lignes signées Giorgetto Guigiaro, on retrouve un V8 maison qui propulse les roues arrière. Avec 2 155 exemplaires produits jusqu’en 1990, elle connaîtra un joli succès et fera rapidement oublier sa prédécesseure.

Photo: Maserati

Par un curieux pied de nez du destin, Citroën et Maserati sont aujourd’hui de nouveau liés, cette fois-ci sous la bannière Stellantis. Souhaitons que les choses tournent mieux. Ce qui n’est pas gagné…

À voir aussi : Antoine Joubert présente la brochure de la BMW 850i 1991

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