Ford Fairlane 1966-67 : montée en puissance
Nous sommes au milieu des années 60 et que croyez-vous que la clientèle désire? Plus d’espace, d’équipement, de confort? Mais non bien sûr : plus de chevaux! Et c’est ce que Ford va s’employer à offrir avec la seconde génération de son intermédiaire.
Avec le lancement de la Falcon en 1960, Ford suit la demande du marché pour des automobiles plus compactes initiée dans les années 50 avec des modèles importés et plus particulièrement la Volkswagen Beetle. Pour la Falcon, la compagnie à l’ovale bleu va développer une toute nouvelle structure monocoque qui va s’avérer très polyvalente (elle servira entre autres de base à la Mustang ou à la première génération d’utilitaires Econoline) et très résistante au temps puisqu’elle sera produite jusqu’au millésime 1980 (avec la Ford Granada, la Mercury Monarch et la Lincoln Versailles). Elle va également réaliser la conception d’un tout nouveau 6 cylindres en ligne qui va se montrer, lui aussi, très résilient puisqu’il sera fabriqué dans différentes configurations jusqu’en 1984.
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La plateforme de la Falcon va être une première fois adaptée en 1962 alors que Ford détecte un marché potentiel entre les compactes et les modèles pleine grandeur traditionnels. Le segment justement nommé des intermédiaires venait de naître avec le lancement de la Fairlane. Et intermédiaire, la Fairlane le sera avec des dimensions presque exactement au milieu de celles des Falcon et des Galaxie. Avec des ventes moyennes de près de 285 000 exemplaires sur les quatre premières années, la Fairlane va commencer à faire pas mal d’ombre à la Falcon.

Ratisser large!
À tel point que lorsque viendra le temps de développer les nouvelles générations de la Falcon et de la Fairlane, c’est cette dernière qui sera étudiée en priorité et la Falcon n’en sera qu’une adaptation. Côté structure, Ford réutilise celle de la Falcon 1960. Comme vous pouvez le voir ci-dessous, les dimensions n’évoluent guère entre 1962 et 1966…
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Dimensions en cm |
1962 |
Berline 1966 |
Familiale 1966 |
|
Empattement |
293.4 |
294.6 |
287.0 |
|
Longueur |
500.4 |
500.4 |
507.5 |
|
Largeur |
181.1 |
188.0 |
188.0 |
|
Hauteur |
141.0 |
139.7 |
139.7 |
|
Voie avant |
144.8 |
147.3 |
147.3 |
|
Voie arrière |
142.2 |
147.3 |
147.3 |
… sauf pour ce qui est de la largeur (l’empattement était déjà passé à 116 au lieu de 115,5 pouces en 1965). Car si la Fairlane a commencé en 1962 avec des motorisations somme toute modestes (6 cylindres de 170 pc développant 101 chevaux et nouveau V8 compact de 221 ou 260 pc produisant 145 et 164 chevaux respectivement), elle va presque instantanément se dévergonder avec l’ajout du mythique 289 pc développant 271 chevaux dès 1963. Et Ford prévoit d’installer des moteurs bien plus gros pour 1966 (nous y reviendrons). Parce que la concurrence a réagi très rapidement à la Fairlane, notamment GM en lançant en 1964 avec succès ses Chevrolet Chevelle, Pontiac Tempest, Oldsmobile F-85 et Buick Special. Et c’est un simple groupe d’options sur la Tempest LeMans qui va mettre le feu à la poudrière et démarrer la folie des muscle cars : la GTO. À partir de là, la course à la puissance va escalader à un rythme effréné et Ford ne sera pas le dernier à installer des V8 débordant de chevaux. Pour cela, les ingénieurs élargissent et rigidifient le berceau avant de la Fairlane 1966 et renforcent les suspensions (plus gros ressorts hélicoïdaux et à lames à l’arrière). Autre nouveauté, les familiales bénéficient d’un empattement raccourci à 113 pouces. Celles-ci profitent toujours de la « Magic Doorgate » (aussi appelée ainsi dans les brochures québécoises) qui peut s’ouvrir soit comme une porte de camionnette vers le bas soit sur le côté et peuvent recevoir une banquette additionnelle dans le coffre s’ouvrant dans le sens opposé de la route.

Pour le style, on est loin des lignes un peu maladroites du millésime 1965 (Ford avait restylé la Fairlane pour une année seulement). Le design est plus mature, directement inspiré des Galaxie 1965-66. Avec des lignes arrière fluides, les coupés hardtop sont nettement plus réussis que ceux de la génération suivante… et cela se verra dans les chiffres de production (voir tableau en fin de texte). À l’intérieur, le parallèle avec les Galaxie continue avec un tableau de bord mieux détaillé que précédemment.

De gentille à méchante
Les Ford 1966 arrivent en concessions le 1er octobre 1966. Il existe 5 carrosseries, offertes selon les séries (voir tableau de production) : berlines 2 ou 4 portes, coupé hardtop, cabriolet et familiale. Par rapport à la génération 1962-65, Ford conserve les finitions Fairlane et Fairlane 500 et ajoute une troisième série, la Fairlane 500 XL. Le modèle de base, offert à partir de 2 345 USD / 2 625 CAD, vient assez dénudé : tableau de bord et pare-soleil rembourrés, ceintures de sécurité avant et arrière, essuie-glaces à vitesse unique, accoudoirs, allume-cigares et cendriers (nous sommes dans les années 60…) et couvre plancher en caoutchouc. La Fairlane 500, proposée à partir de 2 317 USD / 2 756 CAD, et la Fairlane 500 XL, facturée à partir de 2 543 USD / 2 987 CAD, ajoutent essentiellement de meilleures finitions extérieures et intérieures (sièges baquets et console dans les XL). Cette dernière donne accès aux désirables versions GT et GTA, dont nous allons parler plus loin. Évidemment, les options sont légion : directions et freins assistés, radios, ceintures de sécurité avant de luxe (avec le rembobinage automatique de la partie extérieure, ce ne sont pas encore des trois points, et voyant de rappel au tableau de bord), horloge électrique, vitres teintées, peinture deux tons, pneus à flancs blancs, enjoliveurs de roue de luxe, capote à commande électrique pour les cabriolets ou différentiel à glissement limité.

Toutes viennent de série avec le 6 cylindres de 200 pc (sauf les GT et GTA). Pour passer aux V8, il faut payer un extra. On retrouve le 289 pc bien connu mais la grosse nouveauté de l’année, c’est l’ajout du 390 pc (6,4 litres), qui permet de faire grimper les puissances jusqu’à 335 chevaux (voir tableau ci-dessous)! Quant au 427 pc, nous en reparlerons plus loin.
|
Taux de |
Carburation |
Puissance |
Couple |
Disponibilité |
|
|
6 cylindres 200 pc (3,3 L) |
9,2:1 |
1 corps |
120 @ 4 400 |
190 @ 2 400 |
1966-67 |
|
V8 289 pc (4,7 L) |
9,3:1 |
2 corps |
200 @ 4 400 |
282 @ 2 400 |
1966-67 |
|
V8 390 pc (6,4 L) |
9,5:1 |
2 corps |
265 @ 4 400 |
401 @ 2 600 |
1966 |
|
V8 390 pc (6,4 L) |
9,5:1 |
2 corps |
270 @ 4 400 |
405 @ 2 600 |
1967 |
|
V8 390 pc (6,4 L) (1) |
9,5:1 |
2 corps |
275 @ 4 400 |
405 @ 2 600 |
1966 |
|
V8 390 pc (6,4 L) |
10,5:1 |
4 corps |
315 @ 4 600 |
427 @ 3 200 |
1966-67 |
|
V8 390 pc (6,4 L) (2) |
10,5:1 |
4 corps |
320 @ 4 800 |
427 @ 3 200 |
1967 |
|
V8 390 pc (6,4 L) (2) |
10,5:1 |
4 corps |
335 @ 4 800 |
427 @ 3 200 |
1966 |
|
V8 427 pc (7,0 L) (3) |
11,1:1 |
4 corps |
410 @ 5 600 |
476 @ 3 400 |
1966-67 |
|
V8 427 pc (7,0 L) (3) |
11,1:1 |
2 X 4 corps |
425 @ 6 000 |
480 @ 3 700 |
1966-67 |
(1) : Avec boîte automatique Cruise-O-Matic
(2) : Arbres à cames de performance, nouveau carburateur et filtre à air à faible restriction
(3) : Disponible uniquement sur commande spéciale à partir de mi 1966

Le choix de boîtes de vitesses est assez large, merci. Celle de base dans tous les cas (sauf GTA) est une 3 rapports manuelle. Mais il est aussi possible de commander une 3 rapports manuelle entièrement synchronisée (baptisée Synchro-Smooth), une 4 rapports manuelle et une 3 rapports automatique Cruise-O-Matic. La GTA bénéficie en exclusivité de la transmission 3 rapport Cruise-O-Matic Sport Shift (ou à commande sport dans les catalogues francophones) qui offre la sélection manuelle des 3 rapports au lieu de la commande « Low » de la boîte classique. La brochure explique : « Cette extraordinaire transmission permet de passer de la manuelle à l’automatique à volonté. Vous avez, en somme, deux transmissions dans une – la manuelle pour « lui » et l’automatique pour « elle ». La commande sport rend non seulement la conduite plus intéressante, mais peut encore servir à grimper les côtes, à freiner, et à tirer une remorque. » Au final, il existe 13 combinaisons possibles entre moteurs et boîtes de vitesses… avant l’apparition du 427 pc. Celui-ci ne peut bénéficier que de la transmission manuelle à 4 rapports rapprochés.

La guerre du muscle
Pour le grand public, les versions les plus sportives sont les GT et GTA, disponibles uniquement coupé hardtop et cabriolet. Offerte à partir de 2 843 USD / 3 415 CAD, la GT vient équipée de série du 390 pc « Thunderbird Special » de 335 chevaux avec décoration chromée et de la boîte 3 rapports « Synchro-Smooth ». Mais c’est évidemment avec la boîte à 4 rapports qu’elle se déguste le mieux. Ford est très fière de son auto et affirme dans sa brochure que ce moteur « pourra tordre la queue de n’importe quel tigre », une référence directe à la Pontiac GTO dont le marketing tourne autour de la thématique du tigre (curieusement, la brochure canadienne française n’en parle pas et indique plutôt qu’il « en remontrerait aux plus doués »). La GTA ajoutait la boîte Cruise-O-Matic Sport Shift (le A signifiant tout simplement automatique).

Dans les faits, les GT / GTA peinent un peu à convaincre dans un segment effroyablement disputé. Dans son édition de mars 1966, le magazine Car Life n’est pas particulièrement enthousiaste lors de l’essai d’une GTA : « Le problème de la GTA est tout simplement son manque de puissance. Elle n’est tout simplement pas compétitive en termes de chevaux, ce qui constitue la principale justification des voitures de sa catégorie. […] En tant que brûleuse de pistes de drag, elle n’a tout simplement pas assez de flamme. […] Les ingénieurs de Ford pourraient apprendre quelque chose de leurs homologues de Pontiac en ce qui concerne la respiration du moteur. […] Si la GTA n’est pas une supercar révolutionnaire, que peut-elle être ? Ironiquement, elle se rapproche davantage d’une berline familiale utilitaire assez honnête. Son inconvénient majeur pour utilisation moins sportive est la consommation de carburant. » Le texte se conclut de la façon suivante : « Vivre avec la GTA pendant plusieurs semaines n'était pas du tout décourageant ; l'expérience nous a rendus plus qu’impatients d’essayer d'autres Fairlane avec le moteur de 289 pc. Un peu plus d'équilibre, un peu plus d'honnêteté, et qui sait ? Il s’agit peut-être d’un ensemble très attractif. »

Toujours en mars 1966, le magazine Car and Driver réalise un essai comparatif de 6 muscle cars : Oldsmobile 4-4-2 (V8 400 pc, 350 chevaux, manuelle 4 rapports), Chevrolet Chevelle 396 SS (V8 396 pc, 360 chevaux, manuelle 4 rapports), Pontiac GTO (V8 389 pc, 360 chevaux, 4 rapports manuelle), Buick Skylark Gran Sport (V8 401 pc, 340 chevaux, 2 automatique rapports), Ford GTA et Mercury Comet Cyclone GT (même mécanique que la GTA mais manuelle 4 rapports). C’est bien simple, les deux Ford finissent loin derrière les quatre GM, elles aussi renouvelées pour 1966 (pour information, c’est l’Oldsmobile qui gagne le comparatif). Le magazine regrette que les autos bénéficient de réglages extrêmes, principalement destinés à la piste, auxquels les clients n’auront jamais droit. C’est au point que le moteur de la Mercury sautera durant l’essai et que le Ford sera à deux doigts d’en faire autant. Difficile alors de faire de vraies évaluations… Les Ford et Mercury réalisent le quart de mille respectivement en 14,26 s @ 99 mph et 13,98 @ 103,8 mph mais autour du circuit, la Fairlane est dans les plus lentes. Il faut dire qu’elle est la plus lourde du groupe (près de 55 kilos de matériaux insonorisants supplémentaires par rapport aux autres Fairlane n’aident pas). La suspension et les freins ne font pas bonne impression et le volume de chargement du coffre est le plus petit.
Malgré tout, les GT et GTA obtiennent de jolis chiffres de production (voir tableau en fin de texte), tout comme les Fairlane 1966 en général, qui progressent de 41,7% par rapport à 1965 et qui réalisent la seconde meilleure année du modèle après le millésime 1963. Une belle performance sachant que le marché est nettement plus encombré et que la Fairlane subit aussi la concurrence interne de la Mustang.

Un p’tit tour et puis s’en va…
Les Fairlane 1967 connaissent des évolutions relativement mineures : calandre retouchée, offre des moteurs 390 pc modifiée (voir tableau plus haut), la transmission automatique à sélection manuelle prend le nom de SelectShift Cruise-O-Matic et elle est disponible sur toutes les autres versions, freins à disque avant de série sur les GT / GTA (disponibles en option sur les autres modèles), essuie-glaces à 2 vitesses et toit en vinyle proposé contre supplément sur les carrosseries hardtop. Les GT / GTA viennent dorénavant de série avec le 289 pc (mais les 390 pc restent offerts en option).

Plusieurs équipements de sécurité mandatés par le gouvernement américain sont installés : nouveaux loquets de portes, colonne de direction à absorption d’énergie et volant avec centre moussé, rembourrage autour du parebrise (qui est en verre laminé aux États-Unis), feux d’urgence et système de freinage à double circuit. Enfin, le Ranchero passe de la série Falcon à la Fairlane et en hérite de la calandre, mais il fera l’objet d’un autre texte.

Dans le contexte d’une compétition accrue, la production baisse de 24,8%.
|
1966 |
1967 |
|
|
Fairlane |
||
|
Club coupe |
13 498 |
10 628 |
|
4 portes berline |
26 170 |
19 740 |
|
4 portes familiale |
12 379 |
10 881 |
|
Fairlane 500 |
||
|
Club coupe |
14 118 |
8 473 |
|
Coupe hardtop |
75 947 |
70 135 |
|
4 portes berline |
68 635 |
51 522 |
|
Cabriolet |
9 299 |
5 428 |
|
4 portes familiale Deluxe |
19 826 |
15 902 |
|
4 portes familiale Squire |
11 558 |
8 348 |
|
Fairlane 500 XL |
||
|
Coupe hardtop |
23 942 |
14 871 |
|
Cabriolet |
4 560 |
1 943 |
|
Coupe hardtop GT / GTA |
33 015 |
18 670 |
|
Cabriolet GT / GTA |
4 327 |
2 117 |
|
Total |
317 274 |
238 658 |
C’est probablement pour cette raison que la seconde génération de Fairlane ne durera que deux ans que Ford lancera un nouveau modèle dès 1968. Le nouveau haut de gamme du modèle prendra la dénomination Torino, un nom qui va progressivement grignoter celui de Fairlane pour prendre toute la place à partir de 1971. Mais ceci est une autre histoire…

427!
Voici un nombre qui fait trembler de plaisir les aficionados de Ford et de peur la concurrence. Issu de la famille FE (pour Ford Edsel), le 427 pc (7,0 litres, en fait réellement un 425,98 pc) apparaît en variante « top-oiler » en 1963 puis en « side-oiler » en 1965 (rapports aux canaux d’huile). Ce bloc est déjà installé dans la Fairlane Thunderbolt en 1964, produite à seulement 100 exemplaires. Au cours du millésime 1966, il fait son retour sous le capot de l’intermédiaire… mais uniquement sur commande spéciale et pour des applications sur piste.

Deux configurations sont proposées : Thunderbird High-Performance (taux de compression de 11,1:1, poussoirs de soupapes mécaniques, carburateur Holley 4 corps, 410 chevaux, Code W) et Thunderbird Super High-Performance (idem sauf deux carburateurs Holley 4 corps, 425 chevaux, Code R). Viennent d’office avec le 427 un alternateur de 42 A, une batterie de 70 A/h, des freins à disque, suspensions et pont arrière de 9 pouces renforcés ainsi que des pneus en 8.15 X 15. On distingue facilement une Fairlane 427 grâce à son capot en fibre de verre (qui fait passer le poids de la pièce de 50 à 33 livres) comprenant une entrée d’air béante et un subtil logo 427 sur les ailes avant.

On ignore exactement combien de Fairlane ont reçu ce bloc entre les versions Code W et Code R durant les millésimes 1966 et 1967. Ce que l’on sait, c’est que Ford a fabriqué au printemps 1966 une série de 57 Code R sur base de Fairlane 500 coupé hardtop. Tous les exemplaires seront peints en blanc Wimbledon et sans la moindre option (après tout, à quoi servent une direction ou des freins assistés sur une piste?). La marque avait apparemment prévu d’en produire 70 exemplaires mais aurait eu des ennuis avec l’outillage des collecteurs d’échappement. La Fairlane 427 connaîtra quelques succès en NASCAR, USAC et NHRA mais ne parquera pas son époque car, là encore, la concurrence était absolument brutale!
