GMC MotorHome 1973-78 : en avance et… en avance
Cela pique toujours un peu beaucoup d’avoir raison trop tôt… spécialement quand vous venez de plus ou moins révolutionner une industrie. Voici l’histoire du GMC MotorHome, un véhicule au parfum musqué des années 70.
À la fin des années 60, GM est confortablement installée à la première place de la liste des plus grosses entreprises du monde. En plus de dominer le marché automobile nord-américain, la compagnie a ses mains dans toutes sortes d’industries différentes, y compris les poids lourds. Elle vient d’identifier un secteur qui promet d’exploser durant les années 70, celui des véhicules récréatifs.
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À l’époque, ces « mobile home » reposent sur des châssis de camion et sont fabriqués chez des constructeurs plus ou moins professionnels : l’esthétique est loin d’être attirante et les finitions pas toujours du plus haut standard. Et ne parlons même pas de la tenue de route! Mais pour faire progresser les choses, GM a un as dans sa manche!

Tornade dans le châssis!
La division « Truck and Coach » de GM commence l’évaluation de la concurrence sur la période 1968-70. Après, une équipe est formée sous la direction de Martin Caserio, directeur général de GMC. À la tête du projet se trouve Kurt Stuvenbolt. C’est Ralph Merkle qui est en charge du châssis et Michael Lathers est responsable du style extérieur. Quant à l’intérieur, il sera développé par Nancy Bundra. Dès le début du programme, GM entend appliquer les mêmes standards de conception et de fabrication au MotorHome qu’à ses autos.
L’idée principale du développement repose autour de l’UPP. Signifiant « Unitized Power Package », il s’agit en fait de l’ensemble moteur/transmission conçu pour l’Oldsmobile Toronado 1966 traction avant. Il combine un V8 455 pc (7,5 litres) à une boîte automatique TH-425. Celle-ci comprend essentiellement les composants internes d’une TH-400 conventionnelle mais est séparée en deux morceaux. Le convertisseur de couple est placé en sortie de vilebrequin et la puissance est transmise au reste de la boîte (rapports de vitesse et différentiel), logé sous le banc de cylindres gauche du moteur, par une chaîne de deux pouces de large. Le développement de cette chaîne a été particulièrement complexe pour atteindre les objectifs de fiabilité et de silence de fonctionnement. Avec un taux de compression de 8,5:1, le moteur produit 212 chevaux à 3 400 tr/min et 344 lb-pi à 2 400 tr/min.

Cet ensemble « relativement » compact (cela reste tout de même un gros V8) se loge facilement et simplement entre les rails du châssis. La traction avant permet de se passer d’un arbre de transmission vers les roues arrière, autorisant un châssis plus bas et donc un accès plus facile (le châssis n’est qu’à 35 cm de la route), un plancher plat et une meilleure tenue de route grâce à un centre de gravité rabaissé (à seulement 97 cm du sol).
Les suspensions arrière sont conçues pour occuper le moins d’espace possible. Elles sont similaires à celles de trains : chaque roue est montée sur un bras oscillant et les deux sont reliées par un ressort pneumatique. En plus d’assurer l’amortissement, ce dernier peut également modifier la hauteur de l’essieu, ce qui permet de mettre le MotorHome à plat sur des terrains inégaux. À l’avant, on retrouve des barres de torsion. Côté freinage, ce sont des disques à l’avant et quatre tambours à l’arrière.

Deux longueurs de châssis seront proposées : 23 pieds (7,01 m) ou 26 pieds (7,92 m) de long. Les modèles seront parfois référés comme les 230 et 260. La différence de longueur se fait tant au niveau de l’empattement que du porte-à-faux arrière.

On ne discute pas les goûts et les couleurs
Pour l’extérieur, GM signe un design très contemporain. L’aérodynamisme n’est pas oublié et le MotorHome aura un Cx de seulement 0,31. « Finalement un motorhome qui n’a pas l’air d’un camion » affirmera la brochure de 1973. L’habitacle fait appel à une structure en aluminium sur laquelle sont montés des panneaux en aluminium sous la ceinture de caisse et de la fibre de verre au-dessus. Cela donne un ensemble léger et cependant très résistant.
Évidemment, dans un véhicule récréatif, le nerf de la guerre, c’est l’intérieur. Et là, GM va mettre les petits plats dans les grands. Six designers travaillent à temps plein sur le projet. Le magazine « House and Garden » servira de consultant pour le choix des couleurs. Une anecdote raconte qu’Ed Cole, président de GM, pointera l’un des ingénieurs, Wally Edwards, lors d’une réunion et dira « L’une des couleurs devrait être comme la cravate de Wally » qui combinait le brun et l’orange. Cet ensemble sera proposé en 1973 et 1974.
Le MotorHome n’aura pas moins de 15 arrangements intérieurs possibles : 4 pour le châssis court et 11 pour le châssis long. Certains électroménagers proviendront de chez Frigidaire, une compagnie que GM possèdera jusqu’en 1979. Si la production du châssis et l’assemblage final seront réalisés à l’usine No3 de Pontiac, dans le Michigan, les habitacles seront construits chez Gemini, une filiale de PRF Industries. La production sera ramenée à l’usine de Pontiac à partir de 1975.

L’emballement et puis…
Les rumeurs circulent bon train dans la presse spécialisée sur l’arrivée de GM dans le marché des véhicules récréatifs au début des années 70. C’est le 7 février 1972 que la compagnie publie un communiqué de presse confirmant officiellement la chose. Un premier véhicule de 26 pieds de long est montré à l’exposition « Transpo 72 » à Dulles, près de Washington, du 27 mai au 4 juin 1972. Il est annoncé qu’il sera commercialisé pour le millésime 1973. La production démarre effectivement au quatrième trimestre de 1972.
C’est le 3 janvier 1973, au stade d’Anaheim en Californie, qu’est présentée à la presse la version finale. Alex Mair, qui a remplacé Martin Caserio à la tête de GMC, explique que la marque pourrait fabriquer jusqu’à 8 000 exemplaires par année. La réaction de la presse et du public est enthousiaste. Il faut dire qu’on n’a jamais vu un tel véhicule dans le secteur, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Le MotorHome est tout simplement cool!

Au lancement, six couleurs extérieures sont disponibles. Les finitions intérieures portent le nom de Sequoia, Painted Desert, Glacier ou Canyon Land. Le prix de base est de 13 569 USD pour le 230 et de 14 569 USD pour le 260 (pour comparaison, une Chevrolet Bel air demande 3 247 USD et une Cadillac Sedan DeVille 6 500 USD). Les options ne manquent évidemment pas : air conditionné, systèmes de son, aspirateur intégré, pare-chocs chromés, générateur électrique, vitres teintées, réservoir de propane, antenne télé, traitement des déchets…
Mais des problèmes ralentiront la production et en octobre 1973, c’est le premier choc pétrolier. Les véhicules récréatifs deviennent moins attirants, bien sûr à cause de leur importante consommation d’essence. Le MotorHome demande, selon les conditions, autour de 25 L/100 km (heureusement, il y a deux réservoirs de 95 litres entre les rails du châssis).

Mais GM ne va pas baisser les bras et sortir de nouvelles versions. À Las Vegas, les 30 et 31 janvier 1974, deux nouveaux produits sont annoncés : l’Eleganza SE avec des finitions et un équipement plus haut de gamme et les TransMode. Ces modèles, disponibles dans les deux longueurs, sont essentiellement des MotorHome sans intérieurs destinés à être soit convertis en véhicules récréatifs par d’autres compagnies soit avoir des utilisations différentes : transport de passagers, bureau mobile, véhicule d’exposition, ambulance, véhicule de police, librairie, transport de personnes handicapées, véhicule d’aéroport, corbillard… Les TransMode réaliseront près de 25% de la production totale (voir tableau de production à la fin du texte).

De nombreuses évolutions ont lieu pour 1975 : renforcement du châssis, arrêt du MotorHome de 23 pieds (cette longueur reste offerte en TransMode), intérieurs revus ainsi que deux nouvelles versions Eleganza II et Palm Beach. La production ne décolle pas. Il faut attendre 1976 pour que le MotorHome réalise sa meilleure année, le spectre de la crise pétrolière commençant à s’éloigner. Deux nouvelles finitions sont ajoutées, Glenbrook et Edgemont, et différentes évolutions techniques mineures ont lieu. En 1977, le Kingsley remplace le Glenbrook et le Edgemont disparaît. L’électricité est revue. Mais la plus grosse nouveauté est le remplacement du 455 pc par un 403 pc (6,6 litres) en janvier 1977, le gros bloc étant supprimé du catalogue Oldsmobile. La production est déplacée sur un autre site en août 1977, toujours à Pontiac.

Disparu… mais pas oublié
C’est le 11 novembre 1977 que GMC annonce la fin de l’aventure MotorHome. Officiellement, GM a besoin de place pour produire des fourgonnettes, qui sont alors en forte demande. En fait, les ventes faibles sont la raison principale mais il y a aussi l’arrêt programmé de la fabrication des UPP alors que la Toronado connaîtra une nouvelle génération pour 1979 (toujours traction avant mais avec une configuration mécanique plus conventionnelle et des moteurs plus petits). Les évolutions sont logiquement modérées pour le millésime 1978.
|
Motorhome 23' |
Motorhome 26' |
TransMode 23' |
TransMode 26' |
Total |
|
|
1973 |
461 |
1 598 |
2 059 |
||
|
1974 |
168 |
1 496 |
1 664 |
||
|
1975 |
1 195 |
36 |
425 |
1 656 |
|
|
1976 |
2 413 |
549 |
298 |
3 260 |
|
|
1977 |
1 695 |
253 |
455 |
2 403 |
|
|
1978 |
689 |
178 |
1 012 |
1 879 |
|
|
Total |
629 |
9 086 |
1 016 |
2 190 |
12 921 |
Malgré une production limitée, les MotorHome ont une propriété incroyable : ils refusent de mourir. Il existe des propriétaires fanatiques du modèle, des clubs extrêmement actifs, des sites internet dédiés, des compagnies de reproduction de pièces (voire même de fabrication de pièces plus modernes).

On estime qu’entre 8 et 9 000 véhicules sont encore enregistrés aujourd’hui (roulant ou pas…). En avance sur la concurrence, il sera la victime du premier choc pétrolier. Arrêté après seulement 6 ans, il ne profitera pas du boom des véhicules récréatifs qui aura réellement lieu dans les années 80. GM s’était simplement trompée d’une décennie. On vous l’a dit, ce n’est pas bon d’avoir raison trop tôt…
