Chevrolet Monte Carlo 1973-77 : l’Eldorado pour tous
Plus encore que la première, la seconde génération de Chevrolet Monte Carlo va démocratiser l’idée du luxe. Le timing ne pouvait être meilleur dans des années où le confort a remplacé la puissance comme motivation d’achat. Et puis, il y a un personnage clé qui va jouer un rôle important dans le succès du modèle.
Pour parler de la Monte Carlo, il faut parler de John Zachary DeLorean. Entré chez Pontiac en 1956, il en devient l’ingénieur en chef en 1961 puis le directeur général en 1965. À 40 ans, il est alors le directeur d’une division de GM le plus jeune de l’histoire. Alors que la Pontiac Grand Prix commence à battre de l’aile, il soutient la suggestion de Ben Harrison, responsable de la planification, de faire passer le modèle sur le châssis A-Body des intermédiaires. Il va même devenir le champion de ce modèle et tout faire pour qu’il arrive sur le marché dès 1969. Pour réduire les coûts, il conclut une entente avec son ancien patron, Pete Estes, qui est à ce moment à la tête de Chevrolet. Ils vont partager les coûts d’emboutissage du toit et Chevrolet pourra sortir son propre coupé personnel en 1970 : la Monte Carlo.
- À lire aussi: Chevrolet Monte Carlo 1970-72 : ceci n’est pas un muscle car!
- À lire aussi: Pontiac Grand Prix 1969-72 : le bon en avant

Ironie de l’histoire, Estes est promu et, dans la bonne tradition des chaises musicales chez GM, DeLorean devient directeur général de Chevrolet en février 1969. C’est lui qui lance la Monte Carlo le 18 septembre 1969 pour le millésime 1970. S’il en est un peu le parrain, il n’a par contre participé en rien à son développement. Mais nous allons voir que cela va changer pour la génération suivante.
On part à l’opéra
La première génération de Monte Carlo repose sur le châssis A-Body des intermédiaires avec un empattement de 116 pouces. Celles-ci doivent être renouvelées pour le millésime 1972 mais une grève de 67 jours qui va paralyser 145 usines en 1970 et les nouvelles normes d’impacts fédérales prévues pour le millésime 1973 vont amener GM à décider de les décaler d’un an.

Si le nouveau modèle repose toujours sur un châssis séparé et le même empattement de 116 pouces, il va être plus long, plus large, sensiblement plus lourd sans véritablement offrir une meilleure habitabilité (sauf au niveau du coffre, voir tableau ci-dessous).
|
1972 |
1973 |
|
|
Empattement (mm) |
2 946 |
2 946 |
|
Longueur (mm) |
5 245 |
5 347 |
|
Largeur (mm) |
1 920 |
1 971 |
|
Hauteur (mm) |
1 344 |
1 351 |
|
Poids (kg) |
1 524 |
1 734 |
|
Volume coffre (L) |
365 |
416 |
Le style va être réalisé sous la supervision d’Irv Rybicki, directeur du design de Chevrolet depuis 1965. Celui-ci deviendra le vice-président responsable du design de tout GM le 1er août 1977, étant alors seulement la troisième personne à occuper ce poste après Harley Earl et Bill Mitchell. Il tiendra cette fonction jusqu’en octobre 1986, moment de sa retraite. Les équipes de Rybicki sont parties des proportions de la Monte Carlo 1970-72 mais ont clairement forcé les traits au niveau des passages d’ailes et des phares avant qui laissent leur marque sur le capot, faisant un écho appuyé aux véhicules d’avant-guerre.
En prévision des futures normes d’impact, les ingénieurs vont dessiner un toit avec une double paroi en acier (avec des matériaux insonorisants au milieu) et des montants épais (il n’y a plus de vitre latérale arrière). Pour donner du style et un peu améliorer la luminosité, les designers vont créer une petite vitre dans le montant arrière, dite « vitre opéra ». C’est Irv Ribicky qui va suggérer à la direction de GM d’installer cet élément de style d’abord sur la Cadillac Eldorado puis progressivement sur d’autres modèles de la compagnie pour lui donner une aura de luxe. La vitre opéra sera effectivement montée sur l’Eldorado 1971 et ce gimmick de style deviendra rapidement utilisé par toute l’industrie.

La marque du Z
Comme mentionné au début, John Z. DeLorean n’est pas que le directeur général de Chevrolet, c’est aussi un ingénieur de formation et un grand amateur d’automobiles. Pour lui, une auto doit bien tenir la route. Il va demander aux ingénieurs de recalibrer totalement la suspension de la Monte Carlo afin qu’elle offre des sensations de conduite plus européennes. En partant des éléments de base des A-Body, ceux-ci vont réaliser de nombreux ajustements : installation de pneus radiaux, modification du carrossage, barres antiroulis à l’avant et à l’arrière, boîtier de direction à rapport variable plus direct et avec un amortisseur pour limiter les vibrations dans le volant. Certes, la Monte Carlo deuxième du nom ne sera pas encore du calibre d’une Mercedes mais elle sera parmi ce qui se fera de mieux en provenance de Detroit.

Mais toutes ces modifications ont un coût et cela ne plaît pas aux comptables de GM, qui veulent un modèle toujours moins cher. Chevrolet va jouer le jeu mais être particulièrement retord dans la planification. Il y aura effectivement un modèle de base (facturé 3 415 USD / 4 090 CAD) avec des pneus à structure diagonale (bias-ply) et sans les différents éléments additionnels améliorant la tenue de route. Mais si vous vouliez la boîte automatique, comme au moins 95% des acheteurs, il vous fallait choisir le modèle S ou Landau qui, eux, étaient dotés de série de ces raffinements. Résultat, le modèle de base sera tellement peu populaire qu’il ne sera commercialisé qu’un an et les consommateurs se seront familiarisés avec une meilleure suspension, tordant ainsi le bras des « bean counters ». Bien joué Chevrolet!

Couronnes de lauriers
Les nouvelles Monte Carlo sont présentées en même temps que les autres Chevrolet 1973, le 21 septembre 1972. La gamme comprend donc les 3 modèles mentionnés ci-dessus. Par rapport à la version de base, la S (3 562 USD/4 266 CAD) ajoute une insonorisation supérieure et donne accès à plus d’options (dont les roues Rallye, la console centrale et la fameuse transmission automatique Hydramatic à 3 rapports). La Landau (3 806 USD/4 559 CAD) bénéficie en plus d’un toit en vinyle, de décorations additionnelles, de rétroviseurs sport (avec télécommande à gauche), d’un miroir de vanité et de roues Turbine II. Toutes viennent de base avec le V8 350 pouces cubes (5,7 litres) à carburateur 2 corps de 145 chevaux avec une boîte de vitesses manuelle à 3 rapports. Deux autres V8 sont disponibles en option (voir tableau des motorisations canadiennes en fin de texte). On retrouve des freins à disque à l’avant et à tambour à l’arrière.

L’intérieur apparaît nettement plus bon marché que l’extérieur mais de nombreuses options sont proposées pour rehausser l’ambiance : groupe instrumentation (tachymètre, ampèremètre, température moteur, avec Hydramatic seulement), sièges baquets à la place de la banquette (qui peuvent tourner de 90 degrés pour faciliter l’accès et la sortie), console centrale, climatisation, vitres électriques, verrouillage central, volant réglable en hauteur et différentes radios. À l’extérieur, il est possible d’ajouter des pare-chocs de luxe, un toit ouvrant, des roues Rallye ou des moulures latérales.

L’accueil de la presse spécialisée est contrasté. Plusieurs vont trouver l’aspect extérieur… étonnant voire déroutant (il sera qualifié de baroque par le magazine Road & Track) mais tous vont apprécier la tenue de route et le magazine Motor Trend lui attribuera le titre de « Voiture de l’année 1973 ».
Dans son édition de 1973, le Guide de l’auto n’est pas en reste. Dans un essai d’une version Landau équipée du 454 pc, Jacques Duval explique : « Lorsque nous avions fait l’essai de cette voiture lors de son lancement, en 1970, elle ne nous avait pas impressionné outre mesure. Ce n’était rien d’autre qu’un autre modèle GM de la gamme intermédiaire, sans autre attrait qu’un nom évocateur et un habillage distinctif. En 1973, même si elle est toujours construite sur le châssis de la Chevelle, la Monte Carlo est un oiseau d’une autre couleur. […] Avant de parler de la tenue de route proprement dite, il convient de dire quelques mots de la direction assistée à rapport variable. Celle-ci ne souffre d’aucune inertie et vous donne un contrôle très positif du volant. C’est là que la voiture trouve toute sa maniabilité. Il n’y a pas de temps mort lorsque l’on tourne le volant le moindrement et la Monte Carlo suit la trajectoire désirée. Cette précision de conduite s’ajoute à une tenue de route irréprochable pour une voiture qui pèse tout de même plus de 4 000 livres. Il y a très peu de roulis en virage et la stabilité à haute vitesse est étonnante. Les pneus radiaux s’accrochent fermement à la route et la suspension vous donne une grande impression de sécurité, même dans les manœuvres rapides. Les routes sinueuses deviennent un plaisir au volant de cette Monte Carlo et, qui plus est, le confort ne souffre pas malgré la présente de stabilisateurs à l’avant et à l’arrière. »
Durant l’essai, le Guide a apprécié le comportement de la transmission automatique, le confort des sièges, l’insonorisation mais a moins aimé certains détails d’aménagement et l’espace à l’arrière. L’essai se conclut par ces mots : « En résumé, la nouvelle Chevrolet Monte Carlo Landau 1973 est une réussite qui prouve que l’industrie américaine (GM dans le cas présent) peut, quand elle le veut, construire des voitures qui ne sont pas uniquement des exercices de style ou des « transporteurs ». »

Malheureusement, tous ces bons commentaires n’auront pas vraiment de suite car DeLorean quitte la tête de Chevrolet fin 1972 pour prendre le poste de vice-président responsable de la division automobile et des véhicules industriels. En mai 1973, il négocie sa « démission » avec la direction de la compagnie pour partir fabriquer son propre coupé à carrosserie en acier inoxydable et moteur V6 PRV à l’arrière. Baptisée DMC-12, on l’aurait remarquée dans un petit film qui parle de voyage dans le temps…
En attendant, la clientèle afflue. La production augmente de 60,8% par rapport à 1972 (voir tableau en fin de texte)! Et ce n’est qu’un début…
À l’économie…
Logiquement, les changements pour 1974 sont limités : nouveaux pare-chocs arrière (pour passer les normes fédérales d’impact), nouvelle grille avant, suppression de la version de base, nouveau V8 400 pc (6,6 litres). Le bouche-à-oreille doit être bon puisque, malgré la crise du pétrole qui commence en octobre 1973, la production augmente de 7,4% et passe pour la première fois au-dessus des 300 000 exemplaires.

Elle va baisser de 17,1% en 1975 mais c’est dans le contexte d’un marché déprimé en plein contrecoup du choc pétrolier. Les évolutions se limitent à une nouvelle grille, une offre de moteurs revue, l’installation de pots catalytiques, un nouvel intérieur custom en tissu et un ensemble de cadrans baptisé « Econominder » comprenant un économètre, le voltmètre et la température moteur.

Les changements sont plus significatifs pour 1976. Les phares ronds cèdent leur place à 4 phares carrés, la grille est redessinée, la boîte manuelle à 3 rapports de base est retirée du catalogue (il n’y plus que des Hydramatic) tout comme le gros bloc 454 pc alors qu’une option de peinture deux tons « Fashion tone » est offerte.

La production repart à la hausse : + 36,4% par rapport à 1975. Et cette génération de Monte Carlo va finir en beauté en 1977 avec une autre augmentation, de 16,4%, dépassant pour la première fois les 400 000 exemplaires.
|
Base |
SS |
S |
Landau |
Total |
|
|
1970 |
142 152 |
3 823 |
145 975 |
||
|
1971 |
110 680 |
1 919 |
112 599 |
||
|
1972 |
180 819 |
180 819 |
|||
|
1973 |
4 960 |
177 963 |
107 770 |
290 693 |
|
|
1974 |
184 873 |
127 344 |
312 217 |
||
|
1975 |
148 529 |
110 380 |
258 909 |
||
|
1976 |
191 370 |
161 902 |
353 272 |
||
|
1977 |
224 327 |
186 711 |
411 038 |
||
|
Total |
438 611 |
5 742 |
927 062 |
694 107 |
1 626 129 |
La grille avant est revue, l’offre des moteurs est très simplifiée, il ne reste plus que deux V8, et l’intérieur bénéficie de quelques retouches.
|
Moteurs Canadiens |
1973 |
1974 |
1975 |
1976 |
1977 |
|
305 pc (5,0 litres) 2 corps |
140 ch (S) |
145 ch (S) |
|||
|
350 pc (5,7 litres) 2 corps |
145 ch (S) |
145 ch (S) |
145 ch (S) |
145 ch (O) |
|
|
350 pc (5,7 litres) 4 corps |
175 ch (O) |
185 ch (O) |
155 ch (O) |
165 ch (O) |
170 ch (O) |
|
400 pc (6,6 litres) 2 corps |
150 ch (O) |
||||
|
400 pc (6,6 litres) 4 corps |
175 ch (O) |
175 ch (O) |
|||
|
454 pc (7,4 litres) 4 corps |
245 ch (O) |
235 ch (O) |
215 ch (O) |

Un sommet
La deuxième génération est celle qui aura connu le plus grand succès commercial de l’histoire du modèle, et de loin. GM a décidé quelques mois avant le premier choc pétrolier de réduire la taille de ses autos : les modèles pleine grandeur pour 1977 et les intermédiaires pour 1978. Les designers vont reprendre la même thématique de style mais celle-ci va moins bien s’accorder avec une longueur raccourcie de près de 33 centimètres. Les ventes vont relativement bien se maintenir en 1978 et 1979 avant de s’effondrer en 1980. Mais il faut dire que le marché est alors en plein deuxième choc pétrolier. Les temps sont durs!






