L'ULTIME ESSAI de La Ferrari BB 512 1981 : Conduire à 190 milles à l'heure!
Cet essai routier a été publié dans le Guide de l'auto 1981.
Le radar du Centre d'essai de Blainville est complétement affolé; jamais encore il n'a été appelé à lire une telle vitesse et, sur le cadran digital, les chiffres s'entremêlent sans pouvoir se fixer sur un nombre précis. De toute évidence, ce fameux appareil est dépassé par les événements, en l'occurrence une Ferrari Berlinetta Boxer 512 poussée au maximum de ses possibilités sur la piste de haute vitesse de 6,6 kilomètres de Blainville. Qu'à cela ne tienne... le chronomètre et le compte-tours de la voiture rendront l'incroyable verdict, 190 milles à l'heure (307 km/h), la vitesse la plus élevée à laquelle il m'a été donné de conduire dans ma vie.
En vingt ans de carrière automobile, aussi bien comme pilote de course que comme essayeur, j'ai eu l'occasion de conduire un très grand nombre de voitures très rapides, de la Porsche 917 de compétition (lors d'essais privés au circuit de Hockenheim en Allemagne) à la Lamborghini Miura, en passant par la mémorable Ferrari Daytona. Je n'avais toutefois jamais dépassé le cap des 173 milles à l'heure de la Lamborghini (le Guide de l'auto 1972) lors d'un essai sur route, réalisé sous surveillance policière en raison des limitations imposées par l'absence de lignes droites suffisamment longues sur les circuits routiers. La piste de haute vitesse de Blainville m'aura permis d'inscrire un nouveau record de vitesse personnel... et aussi de vivre et de vous faire partager ce qui est très certainement l'ultime expérience en matière de conduite automobile.
Pour marquer le 15e anniversaire du Guide de l'auto, on ne pouvait souhaiter mieux et c'est à M. Robert Laforce de Québec, opticien de métier et collectionneur de voitures, que je dois cet inoubliable événement. L'un des rares propriétaires d'une Ferrari BB 512 en Amérique du Nord, il a eu l'amabilité... et le courage de me la faire essayer sur les pistes de Blainville.
Et non seulement pour une petite balade tranquille mais pour un essai de vitesse absolue avec tous les risques que cela comporte, même si la voiture est pleinement capable d'atteindre des vitesses démentielles en toute sécurité. En réalité, il eut été impossible de réaliser cet essai ailleurs que sur un circuit fermé, puisque la Ferrari BB 512 a été vendue à M. Laforce à la condition expresse qu'elle ne soit pas utilisée sur la voie publique. Ce modèle, quel sacrilège, ne répond pas aux fameuses normes gouvernementales concernant la «sécurité» et l'anti-pollution. Pour son propriétaire, il s'agit donc strictement d'un objet de collection... ou, si l'on veut, d'une œuvre d'art dont l'acquisition est beaucoup plus la concrétisation d'un rêve qu'un désir d'exhibitionnisme.
Et quelle œuvre d'art... Construite en très petite série depuis 1971, la Ferrari BB 512 est la plus prestigieuse création de cette petite firme italienne qui a produit et produit encore les voitures Grand Tourisme les plus sophistiquées au monde, dans le but de financer les efforts d'une équipe de formule 1 dont on connaît les succès malgré une dernière saison plutôt catastrophique.
La BB 512 n'est d'ailleurs pas tout à fait étrangère aux monoplaces que pilote Gilles Villeneuve, puisque son moteur 12 cylindres à plat est directement issu de la compétition. Monté en position centrale arrière, il a une cylindrée de 4 942 cm° (par rapport à 3 litres pour les voitures de formule 1) et sa puissance est de 360 ch à 6 800 tr/mn. Pour les connaisseurs, précisons qu'il est doté de soupapes en tête disposées en V actionnées par 4 arbres à cames et qu'il est alimenté par 4 carburateurs triple corps Weber avec deux pompes à essence électriques. Ce moteur repose dans un châssis en tubes d'acier suspendu par quatre roues indépendantes avec triangles superposés et quatre amortisseurs.
Sans aller dans les moindres détails, on peut ajouter que la BB dispose d'un différentiel autobloquant, d'une direction à crémaillère, de quatre freins à disque ventilés et d'une boîte de vitesses à 5 rapports. Rien d'inhabituel, sans doute, mais tout dans l'exécution de cette Ferrari respire la haute performance et la compétition. Ceci n'exclut pas toutefois un certain luxe et même si la présentation intérieure est on ne peut plus sobre et dépouillée, le conducteur a droit à des glaces à commande électrique, à un appareil de radio et à un système d'air conditionné.
Mais trêve de présentation et passons à cet invraisemblable record de vitesse à Blainville.
À 190 milles à l'heure...
Telle une précieuse sculpture, la Ferrari est méticuleusement déchargée de son camion transporteur sous les yeux écarquillés des curieux. D'un rouge flamboyant, sa carrosserie signée Pininfarina brille comme un sou neuf. Son propriétaire s'installe au volant et entame le long processus de mise en route et de réchauffement du moteur. Une telle mécanique ne s'anime pas sans un minimum de précautions. Après la mise en température et une vérification de la pression des immenses Michelin XWX, tout est prêt pour la grande aventure... Pour vérifier les vitesses exactes que nous atteindrons, la cinquième roue habituellement utilisée ne résisterait probablement pas aux performances possibles de la Ferrari et l'appareil de radar s'avèrera incapable de nous fournir des chiffres précis, il faudra donc s'en remettre au chronomètre et au compte-tours de la voiture.
L'embrayage de la BB n'apprécie pas le glissement et M. Laforce qui tient cette information de Gilles Villeneuve m'avise d'y aller brusquement, c'est-à-dire d'embrayer en relâchant la pédale rapidement tout en enfonçant l'accélérateur. « Cette Ferrari exige d'être conduite avec force... et elle peut le prendre », m'explique-t-il de façon rassurante. Dans ces conditions, allons-y... Les accélérations sont foudroyantes et elles s'accompagnent surtout d'une sonorité mécanique qui n'a absolument pas son pareil. Le guidage des vitesses est facilité par une petite grille qui permet un verrouillage parfait de chacun des rapports. Avec les vitesses réalisables sur chacun des quatre premiers rapports, cela permet d'éviter de coûteuses erreurs. La BB, tenez-vous bien, atteint 54 m/h en 1ere, 80 en seconde, 108 en troisième et 138 m/h en 4° au régime maximum autorisé de 7 000 tr/mn. C'est toutefois la cinquième qui fait monter votre taux d'adrénaline... Après deux tours de reconnaissance, le chronomètre indique un temps d’une minute et trente secondes pour les 6,6 km (4 milles) de la piste de Blainville, soit une fantastique moyenne de 160 m/h. Même si les deux virages sont inclinés et conçus pour la très haute vitesse, j'ai cru plus prudent de lever le pied au début, histoire de m'acclimater à la Ferrari. A une telle allure, on pense aux pneus et à la moindre petite erreur de pilotage qui pourrait être catastrophique, d'autant plus que le soleil couchant gêne passablement la visibilité. Le comportement de la BB est tout de même très rassurant et même à plus de 180 m/h sur la ligne droite, la tenue de cap est remarquable et la direction ne devient pas trop légère. Il ne reste plus qu'à trouver le courage de ne pas lever le pied à l'entrée des virages pour que la piste devienne une longue ligne droite et que le régime du moteur atteigne sa limite en cinquième. J'oublie tout, je surveille les glissières de sécurité sur ma droite en haut du virage et je plonge... Pendant un bref instant, l'aiguille du compte-tours a touché les 6 950 tr/mn et pour ma propre santé, tout comme celle de la voiture, je considère qu'il vaut mieux ne pas s'attarder à cet exercice périlleux. Il n'y a plus qu'à faire le calcul... La Ferrari BB 512 est donnée pour 27,4 milles à l'heure par 1 000 tr/mn en 5e et à 6 950 tr/mn, cela correspond à exactement 190,5 milles à l'heure. C'est vraiment tout ce qu'on voulait savoir de cette fabuleuse machine et ne me demandez surtout pas si elle possède un bon coffre à gants ou un climatiseur efficace. Je n'ai vraiment pas eu le temps de m'en rendre compte et avec un 190 m/h, on ne veut absolument rien savoir d'autre...
FICHE TECHNIQUE ET PERFORMANCES
Marque: Ferrari
Modèle: Berlinetta Boxer 512
Style: coupé 2 portes, 2 places, moteur arrière central Empattement: 250 cm
Longueur: 440 cm
Hauteur: 112 cm Poids: 1400 kg
Moteur: 12 cyl. à plat, 4942 cm', 360 ch à 6200 tr/mn, 4 carburateurs triple corps, essence super, 2 réservoirs, capacité totale 120 litres
Transmission: manuelle à 5 rapports; rapport du pont: 3.21
Suspension av. et arr.: à roues indépendantes, 4 amortisseurs Freins av. et arr.: disques ventilés
Direction: à pignon et crémaillère
Pneus: 215/70 VR 15 (av.) 225 70 VR 14 (arr.) Performances:
0-100 km h: 5,7 s (0-60 m h: 5,3 s) 0-160 km h: 12,25 s
Vitesse maximale: 190,5 m/h
307 km/h (à 6 950 tr mn) Consommation moyenne: 28,25 litres aux 100 km (10 m g)
PRIX: $125 000