Pourquoi et comment on mesure les performances

Essayez de vous rappeler la dernière fois où vous avez pris tout votre temps pour démarrer lorsque le feu est passé du rouge au vert. Je parie qu’il n’a pas fallu plus d’une ou deux secondes avant qu’on klaxonne derrière vous. C’est généralement ce qui arrive si l'on ne décolle pas au moment précis où le feu change.

Tout le monde aime l’accélération, consciemment ou pas. Y compris la personne qui a choisi sa sous-compacte strictement pour ses cotes de fiabilité et de consommation. Parce qu’une voiture le moindrement nerveuse se faufile plus facilement en ville. Parce qu’une voiture vive prend rapidement son rythme sur une bretelle d’autoroute et vous permet de doubler sans traîner sur une route secondaire.

Parce qu’en fait, l’accélération et les reprises, comme le freinage d’urgence, sont des composantes essentielles de la sécurité active. Celle qui permet d’éviter une collision alors que sa cousine passive peut seulement en atténuer les conséquences. Au mieux.

La seule manière de savoir

Je fais des mesures d’accélération, de reprises et de freinage d'urgence depuis vingt-cinq ans parce que c’est la seule manière de connaître les capacités réelles d’un véhicule. Ça permet évidemment aussi de les comparer et de vérifier les prétentions des constructeurs en termes de puissance, par exemple. On en apprend beaucoup également sur le fonctionnement de la boîte de vitesses, le comportement au freinage, la résistance à des arrêts répétés et sur plein de choses encore. Toutes précieuses à connaître pour un journaliste automobile.

La mesure d’accélération la plus familière chez nous est le sprint de zéro à 100 km/h. La version métrique du 0-60 mi/h (0-96,5 km/h) de nos voisins américains. En plus de cette donnée, je mesure aussi l’accélération sur ¼ de mille (402,3 mètres) départ arrêté et les reprises de 60 à 100 km/h et de 80 à 120 km/h. Je capte et calcule finalement la distance de freinage à 100 km/h.

Je me suis retrouvé comme ça avec une banque de données qui compte actuellement 1 088 voitures et 480 utilitaires des années 1995 à 2012. Je viens aussi de retrouver dans mes archives des données pour un peu plus de 200 voitures et près de 60 utilitaires des années 1987 à 1994. Beaucoup d’essence et de carburant diesel consommés pour une bonne cause.

Au fil des années, j'ai intégré ces données à mes textes du Guide de l’auto et aux essais produits pour d'autres médias. Je prends essentiellement les mêmes mesures pour le programme des prix annuels de l'AJAC depuis une vingtaine d’années.

Des outils plus précis

Mes premières mesures d’accélération ont été saisies avec un chronomètre manuel. C’est une méthode peu exacte, entre autres à cause de l’imprécision des indicateurs de vitesse qui se gourent souvent de 5 % ou plus. Je me suis vite tourné vers les appareils Vericom, de simples accéléromètres dont je surveillais la justesse en utilisant une référence visuelle. Le bout d’un ¼ de mille soigneusement mesuré, en l’occurrence. Les Vericom sont effectivement sensibles au tangage et les calibrages offerts beaucoup trop vagues.

C’est pourquoi j’utilise un VBox Mini de la firme britannique Racelogic depuis plusieurs années. Il s'agit d'un appareil compact et impeccablement précis qui se branche au signal d’une poignée de satellites GPS à la fois. La plupart des médias automobiles sérieux et presque tous les constructeurs utilisent des appareils VBox.

Mon collègue Denis Duquet possède le sien et le Guide de l'auto dispose également d'un autre appareil VBox. J'en ai aussi fait acheter trois pour les prix de l'AJAC dont le système accorde des points pour les mesures d’accélération, de reprises et de freinage.

Je fais mes mesures sur une route d'accès privée rectiligne d’environ 1,6 kilomètre, donc sur de l'asphalte normal, sauf pour les matchs comparatifs ou essais spéciaux qui m’amènent sur divers circuits. Pas question de mesures d’accélération ou de freinage en présence d’autres véhicules ou de piétons. Surtout avec les vitesses élevées qu’on atteint sur un quart de mille. Pensez circuit ou route déserte. Vraiment déserte. Avec un revêtement aussi uniforme que possible.

Pas de compensations ici

Je n'utilise pas le mode one-foot rollout qu'offre l'appareil VBox pour simuler la méthode de mesure des pistes d'accélération. Comme son nom le suggère, ce mode tient compte de la distance d'un pied (environ 30 cm) que parcourt un véhicule après avoir quitté l'état stationnaire et avant de "couper" le faisceau optique qu'utilisent les pistes d'accélération pour amorcer le chronométrage. Cette distance peut faire une différence de 2 ou 3 dixièmes de seconde et le mode one-foot rollout l’élimine.

Le magazine Car and Driver tient compte du one-foot rollout, ce qui explique en partie les chronos souvent exceptionnels qu'il publie. Ces collègues compensent également la pression barométrique, le poids du pilote, etc. J'ai choisi de ne pas faire ces compensations après avoir consulté un ingénieur, pour aussi conserver l'uniformité de mes données. De toute manière, l’air frais et plus dense de l’automne et du printemps québécois favorise les performances des moteurs mais augmente la résistance aérodynamique. C’est pratiquement kif-kif à la fin.

Les chronos que j’obtiens ne sont pas comparables à ceux qu'on obtient sur une piste d'accélération, surtout un jour de compétition où la surface est toujours adhérente. Je ne réchauffe jamais non plus les pneus en faisant des burn-outs comme ceux des spécialistes de l’accélération. Seulement un peu de patinage dans certains cas pour nettoyer la bande de roulement.

Je cherche seulement la meilleure méthode de démarrage pour obtenir une accélération maximale sans endommager la mécanique, sans surrégime et sans passage de rapports forcés (powershifts et autres barbaries). Le but est d'obtenir les meilleures performances possible d'un véhicule en conditions d’utilisation normale.

Le résultat final est une moyenne du meilleur essai dans les deux directions pour annuler l'effet du vent. Certains publient uniquement le meilleur résultat dans une seule direction. Pour le freinage je fais six mesures à 100 km/h, donc trois dans chaque direction pour mettre aussi à l’épreuve la résistance des freins à l’échauffement. Maintenant que l'antiblocage est la règle, le maintien des pneus au seuil de blocage, exercice éminemment difficile, n'est plus un facteur.

La magie de l’électronique

Si l’accélération est sans contredit essentielle à la sécurité active, on prend un plaisir certain à obtenir d'excellents résultats au volant des voitures les plus puissantes et performantes. Les meilleurs chiffres actuels de ma base de données sont un chrono de 3,29 secondes pour le 0-100 km/h et 11,23 secondes pour le ¼ de mille, avec une pointe de 204,3 km/h, tout ça enregistré au volant d’une Porsche 911 Turbo S de 530 chevaux lors des essais annuels de l’AJAC en octobre 2010 sur une des pistes de l’aéroport régional de Niagara.

Cette 911 véloce était dotée de la boîte à PDK à double embrayage automatisé et 7 rapports mais aussi du mode Départ-canon électronique incroyablement efficace de Porsche. Le même qui permet d’atteindre 100 km/h en seulement 3,83 secondes à bord d’une Panamera Turbo de 500 chevaux qui pèse plus de deux tonnes (1 970 kg).

Dans ces deux cas, l’électronique joue un rôle crucial en exploitant au maximum le couple du moteur turbo et la motricité du rouage intégral. Même chose pour le freinage, maintenant que l’ABS est la règle dans pratiquement toutes les catégories, y compris pour les grandes camionnettes.

Ce qui ne veut pas dire, pour autant, que le pilote n’a plus la moindre influence sur les résultats. En freinage, il faut par exemple s’assurer que la surface est uniforme, que la vitesse est stabilisée et qu’on enfonce la pédale fort et sec pour que l’ABS fasse son boulot impeccablement. Le reste dépend des pneus.

Pour ce qui est du mode Départ-canon, il faut s’assurer qu’il donne sa pleine mesure. J’ai par exemple gagné 3 dixièmes de seconde en accélération avec la Mercedes-Benz CLS 63 AMG en jouant simplement sur le moment précis où relâcher le frein après que le système ait laissé grimper le régime du moteur. Résultat : un chrono de 4,5 secondes. Pas mal pour une propulsion de 518 chevaux et 1 870 kilos.

Boîte manuelle : le vrai défi

Les sujets les plus difficiles sont les voitures à boîte manuelle. Pas étonnant que les mordus d’accélération se soient vite tournés vers les boîtes automatiques. Lors du match des sportives du Guide de l’auto 2012, la Dodge Challenger SRT8 392 a été de loin la plus facile à lancer sur le ¼ de mille du circuit ICAR avec sa boîte automatique conventionnelle, malgré ses 470 chevaux. La plus rapide aussi. Il aurait fallu quelques parcours de plus au volant du coupé BMW M de Série 1 et de la Mustang Boss 302, question de trouver le régime idéal à maintenir pour obtenir le maximum de motricité tout en modulant le débrayage. Pas évident.

Plus la voiture est puissante, plus son moteur a de couple et plus il faut y aller mollo sur le régime et le débrayage. C’est pire encore avec certains moteurs turbo dont le couple augmente radicalement après une fraction de seconde. Avec certaines propulsions surpuissantes il faut débrayer doucement, moteur presque au ralenti, et doser ensuite l’accélérateur pour éviter un excès de patinage. Les départs les moins spectaculaires et les moins sonores sont souvent les plus rapides. Parce qu’en burn-out on reste carrément sur place.

À l’inverse, il faut parfois pousser le moteur à la limite du rupteur et débrayer sec avec les petites cylindrées peu puissantes pour avoir un maximum de patinage. La friction des pneus fait aussitôt chuter le régime en raison du faible couple mais la voiture accélère, le moteur se remet à grimper et il est bientôt temps de passer la deuxième.

C’est cependant un traitement brutal qu’on n’est pas tenté d’infliger à sa voiture et qu’on ne risque pas de reproduire à un feu vert non plus. C’est pourquoi Car and Driver publie depuis longtemps des chronos d’accélération de 5 à 60 mi/h (8 – 96,5 km/h) soit un départ roulant que le magazine a baptisé street start (départ de rue) parce qu’il reflète bien ce qu’un proprio sain d’esprit est prêt à faire avec sa propre voiture. Il faut toutefois un appareil de type GPS ou semblable pour le mesurer correctement.

Les accélérations au volant de voitures puissantes à rouage intégral ou à moteur central ou arrière sont également brutales avec une boîte manuelle, tellement la motricité est forte. Si l'on cherche à tirer le maximum, à tout le moins. Je le fais à contrecœur, très franchement, en espérant que la mécanique l’encaisse. Une seule fois j’ai dû payer un remorquage de 200 $ pour m’être entêté avec une sportive à moteur central. Avec cette capricieuse, il n’y avait que 100 tr/min de jeu entre un départ mou et un sautillement d’essieu diabolique.

Mais si l'on y pense bien, nous faisons tous ces essais très sérieusement, avec les voitures des constructeurs, pour que vous sachiez de quoi votre bolide, berline ou camionnette est capable sans lui faire subir un tel traitement. Ne nous remerciez pas, tout le plaisir était pour nous! Sauf la fois de la remorqueuse.

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