Vous souvenez-vous de la… Plymouth Cricket?
L’abeille bourdonne, la cigale craquette, le criquet stridule… et il fait aussi un flop sur le marché automobile américain. Histoire d’un import captif qui aurait peut-être pu trouver sa place si le modèle n’avait pas souffert des maux congénitaux du véhicule dont il dérivait.
En 1960, les trois grands de Detroit sortent presque simultanément leurs modèles compacts (Ford Falcon, Chevrolet Corvair et Plymouth Valiant) afin de régler le problème des véhicules importés européens, la Volkswagen Beetle en tête. Dix ans plus tard, une nouvelle vague de véhicules, cette fois-ci sous-compacts, arrive en concession (Ford Pinto, Chevrolet Vega, AMC Gremlin) afin de régler le problème de la Beetle (qui fait plus que bien résister) et celui des modèles importés japonais. Mais en lisant le nom des trois modèles présentés, vous avez peut-être remarqué qu’il n’y a pas de Chrysler.
- À lire aussi: Dodge Challenger et Plymouth Sapporo 1978-83 : un peu… c’est mieux que rien
- À lire aussi: Acura Legend 1986-1990 : entrer dans la légende!

Beau, bien, pas cher…
Les années fiscales 1969 et 1970 ont été difficiles pour le constructeur : profit réduit de 88,8 millions USD la première année et pertes de 7,6 millions USD la seconde. Il semblerait qu’il avait commencé le développement d’une sous-compacte au même moment que Ford et GM mais aie abandonné le projet à cause de sa situation financière.
Que faire alors pour contrer les nouvelles sous-compactes ? La compagnie d’Auburn Hills ne va pas choisir une solution simple. Elle va puiser dans des ressources existantes : un modèle japonais pour le réseau Dodge et un modèle européen pour le réseau Plymouth.
Pour le modèle japonais, Mitsubishi sera sélectionné comme partenaire. Ce dernier souhaite partir sur les marchés d’exportation, notamment l’Amérique du Nord. Les deux sociétés signent un accord en 1970 pour ajouter la Colt (voir photo ci-dessous), basée sur la Colt Galant de 1969, au catalogue américain. Les choses iront plus loin en 1971 lorsque Chrysler fera l’acquisition de 15% du constructeur japonais, ce qui amènera à l’adjonction de plusieurs modèles dans les gammes Dodge et Plymouth au cours des années 70 et 80 (les Dodge Challenger et Plymouth Sapporo 1978-83 par exemple). La part de Chrysler chez Mitsubishi montera jusqu’à 24% puis sera progressivement liquidée quand les Américains auront besoin de liquidités au début des années 90.

Lorsque Lynn Townsend prend la présidence de Chrysler en 1961, il veut faire comme Ford et General Motors et transformer sa compagnie en un géant multinational. Il se lance alors dans une série d’achats, notamment en Europe. Chrysler possédait déjà 15% du fabricant français Simca depuis 1958. Il va porter sa participation à 64% en 1963 puis à 100% en 1970. Même histoire en Espagne avec Barreiros, où il acquiert 35% en 1963 avant une prise de contrôle en 1969, et en Angleterre avec le groupe Rootes. Le propriétaire des marques Hillman, Humber, Singer, Sunbeam et Talbot est progressivement racheté par les Américains : 30% en 1964, 45% en 1966 et 65% en 1967 et 100% en 1971. Ces prises de contrôle seront d’ailleurs une des raisons qui mènera Chrysler au bord de la faillite à la fin des années 70, Chrysler Europe (comme renommée en 1971) souffrant alors d’une sérieuse hémorragie de capitaux, plus particulièrement Rootes. Mais nous n’en sommes pas encore là…
Une voiture en quelque sorte mondiale
Plymouth va donc choisir la Hillman Avenger pour ajouter une sous-compacte à sa gamme. L’Avenger est en développement en Angleterre à partir de fin 1965. Son style, réalisé sous la direction de Roy Axe, sera influencé par les lignes américaines. Entré chez Roots en 1959, il en deviendra le directeur du design en 1966. En 1982, il rejoindra British Leyland où il sera responsable, entre autres, de la Rover 800, conçue communément avec la première génération d’Acura Legend. Les lignes seront finalisées en novembre 1966. En bonne voiture européenne, l’accent sera mis sur l’habitabilité, un point qui fera l’unanimité parmi les essayeurs nord-américains. Hillman expérimentera avec différents types de suspensions mais choisira finalement des solutions conventionnelles, l’Avenger (photo ci-dessous) étant pensée pour l’exportation dès le début.

L’Avenger est présentée en Angleterre en février 1970. Elle y connaîtra une carrière décente, sans plus, jusqu’en 1981. À ce moment, Chrysler Europe était passé dans les mains de Peugeot en 1978 et le constructeur français tentait désespérément de sauver ce qui pouvait l’être. Par contre, l’Avenger sera aussi notamment vendue au Brésil sous le nom de Dodge Polara et en Argentine sous le nom de Dodge 1500 puis de Volkswagen 1500, les derniers exemplaires étant produits en 1990!
Conception européenne…
C’est en juin 1970 qu’un communiqué de presse annonce l’arrivée prochaine de la Cricket depuis l’Angleterre. Les premières voitures débarquent effectivement en novembre 1970 et la commercialisation commence en janvier 1971. Au Canada, c’est le musicien Bobby Gimby qui sera le porte-parole de l’auto.
La Cricket repose sur un empattement de 2,49 m, mesure 4,11 m de long et pèse 1 963 livres (890 kilos). Cette propulsion fait appel à une construction monocoque. Les suspensions sont de type McPherson à l’avant avec une barre stabilisatrice tandis que l’arrière utilise un essieu rigide porté par 4 tirants. Les freins sont à disque à l’avant et à tambour à l’arrière. Les pneus sont radiaux de série.
Le moteur 1,5 litre a été dépollué et son taux de compression passe de 9,2:1 en Europe à 8,0:1 chez nous. La puissance est de 70 chevaux à 5 200 tr/min et le couple de 83 lb-pi à 3 000 tr/min. La boîte de vitesses proposée est une 4 rapports manuelle mais une automatique Borg Warner 3 rapports (toutes deux avec levier au plancher) est également disponible. On retrouve des sièges baquets avec appuie-tête intégrés à l’avant et une banquette classique pour 2 personnes à l’arrière. Le volume de chargement est de 396 litres (banquette non rabattable). Plymouth mise beaucoup sur la couleur dans ses brochures et offre 8 teintes extérieures et 5 à l’intérieur.

Le prix de départ est de 1 915 USD / 2 115 CAD. Les options sont limitées : radio AM, pneus à flanc blanc, boîte automatique et le groupe Décor. Celui-ci comprend notamment : coffre à gants verrouillable et éclairé, allume-cigares, indicateurs d’huile et d’alternateur, appui-bras à l’arrière, pochettes dans les portes avant, rétroviseur jour/nuit, tapis de luxe, moulures additionnelles, garnitures de luxe et éclairage réglable du tableau de bord. Il est facturé 100 CAD.
Dans son édition de 1972, le Guide de l’auto trouve la Cricket plutôt séduisante, pour une sous-compacte : « Les sièges nous sont apparus plus confortables que sur plusieurs autres voitures de même format. […] L’un des aspects les plus agréables de cette mini-Plymouth est la grandeur du compartiment arrière. Même si les portières sont un peu étroites, on est surpris de constater que l’on dispose de beaucoup d’espace pour la tête et les jambes. La Cricket est sans doute la seule vraie 4 places de toutes les mini-voitures américaines. Le coffre arrière est également de dimensions surprenantes et, encore là, la Cricket surpasse ses rivales américaines. […] Malgré ses 1498 cm3, le moteur n’est pas très nerveux et se distingue surtout par sa souplesse à bas régime. Il semble avoir été conçu pour un maximum de durabilité sans égard aux performances. Il devrait donc normalement être assez robuste et exiger peu d’entretien. Par contre, dans une voiture qui pèse près de 2 000 livres, le conducteur devra apprendre à faire preuve d’une certaine humilité. La Cricket met quelque 17,5 secondes à atteindre 60 milles à l’heure. En échange, le propriétaire d’une mini-Plymouth peut s’attendre à une consommation moyenne d’à peu près 30 milles au gallon sur route. […] Si nous devions comparer la tenue de route de la Cricket à celle des autres voitures américaines de la même catégorie, nous n’hésiterions pas à lui accorder la seconde place derrière la Vega. Avec ses pneus à carcasse radiale gonflés à la pression correcte, la voiture affiche un comportement très neutre. […] Malgré tout, la Cricket procure un confort de suspension acceptable. Les freins sont à la hauteur de la situation en tout temps.

Le Guide conclut son essai par ces mots : « La Plymouth Cricket n’offre rien de révolutionnaire, mais elle remplit son rôle de petite voiture économique de façon très honnête. Simple, pratique, facile à conduire, elle offre aussi la possibilité de transporter quatre personnes et leurs bagages sans qu’elles se sentent trop à l’étroit, un atout qui fait grandement défaut avec la Vega, la Pinto et la Gremlin. Son moteur nous apparaît trop peu puissant pour que l’on envisage d’y accoupler une transmission automatique, mais ce détail mis à part, la Cricket ne souffre d’aucun complexe d’infériorité face à la concurrence. »
… fabrication anglaise!
Initialement, la réception de la clientèle est relativement bonne. Certes, elle se vend près de 13 fois moins que la Pinto, près de 10 fois moins que la Vega et même près de 3 fois moins que la Gremlin (voir tableau ci-dessous). Mais par rapport à la Dodge Colt, les résultats sont plutôt encourageants.
Mais très vite, la vraie nature de la Cricket va se révéler et elle ne pourra cacher ses origines anglaises bien longtemps. La qualité de construction est véritablement affreuse : le système électrique est fourni par Lucas (doit-on en dire plus?) et la rouille apparaît prématurément. Pire, les pièces, importées du Royaume-Uni, mettent parfois des mois à arriver. Le bouche-à-oreille ne traîne pas et les ventes américaines de 1972 sont en baisse de 49,8% alors que celles de la Colt progressent de 20%. Au Canada, Plymouth parviendra à écouler 2 995 Cricket en 1971 et 2 480 en 1972 (années calendaires).

L’annonce en février 1972 de l’ajout d’une variante familiale, prévue pour le printemps 1972, ne changera pas les choses. Les puissances indiquées passent de brutes à nettes cette année-là et le 1,5 litre n’affiche plus que 55 chevaux à 5 000 tr/min et 70 lb-pi à 3 500 tr/min. Il sera secondé par une nouvelle version à deux carburateurs offrant 70 chevaux à 5 400 tr/min et 75 lb-pi à 3 750 tr/min (de série sur la familiale). Les autres évolutions de 1972 sont l’arrivée d’un toit en vinyle et de la climatisation.
La Cricket est annoncée pour le millésime 1973 en septembre 1972 mais les livraisons depuis l’Angleterre vont s’arrêter en fin d’année 1972 pour des raisons de nouvelles normes de dépollution, qui entrent en vigueur le 1er janvier 1973. Ainsi, les modèles 1973 peuvent être exportés sans atteindre les nouveaux standards entre le mois de septembre et le 31 décembre 1972. Les exemplaires restants seront écoulés dans les premiers mois de 1973. On ignore les chiffres de ventes pour ce millésime.

Ventes américaines (Cricket et Colt) et production (Pinto, Vega, Gremlin)
Plymouth Cricket |
Dodge Colt |
Total Pinto |
Chevrolet Vega |
AMC Gremlin |
|
1971 |
27 682 |
28 381 |
352 402 |
269 905 |
76 908 |
1972 |
13 882 |
34 057 |
480 405 |
390 478 |
94 808 |
1973 |
? |
35 523 |
484 512 |
427 300 |
122 844 |
Avec probablement moins de 45 000 exemplaires écoulés aux États-Unis, la Cricket restera un petit « blip » sur le radar du segment des modèles sous-compacts. Mais l’histoire ne s’arrête pas là, du moins au Canada.
Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple?
Courant 1973, Chrysler relance la Cricket qui n’est alors qu’une… Dodge Colt rebadgée. La gamme comprend un coupé 2 portes (2 582 CAD), un coupé 2 portes hardtop (2 823 CAD), une berline 4 portes (2 801 CAD) et une familiale (3 049 CAD). Le moteur de base est un 1,6 litre de 83 chevaux. Le changement sera bénéfique puisque Plymouth doublera ses ventes de Cricket (4 999 exemplaires).

Lorsque la Colt sera renouvelée en 1974, avec des blocs 1,6 et 2 litres, Chrysler Canada continuera de commercialiser la Cricket (voir photo ci-dessous de la Dodge Colt, la seule différence est au niveau des logos et de la grille de calandre). Ce sera également le cas en 1975. Finalement, la Cricket prendra le nom de Colt en 1976, établissant la tradition des Colt vendues parallèlement dans les réseaux Dodge et Plymouth. Aux États-Unis, la Colt ne sera proposée chez Plymouth qu’à partir de 1979 et sous le nom de Champ dans un premier temps, puis sous le nom de Colt à partir de 1982.

Les Cricket n’auront pas eu le temps de striduler bien longuement en Amérique du Nord. Ce qui est dommage car si la qualité de construction avait été là, ce modèle aurait pu aider à Chrysler à mieux passer la crise pétrolière d’octobre 1973. Mais avec des si…