Mazda Roadpacer AP : une vraie bizarrerie!

Imaginez une voiture développée et construite en Australie avec des fonds américains, dotée d’un moteur inventé en Allemagne et vendue par une marque japonaise sur son marché local. Mais qu’est-ce que c’est que cet engin?

Tout commence par les travaux de l’ingénieur allemand Felix Wankel. C’est dès 1924 qu’il démarre l’étude d’un moteur à piston rotatif. La Seconde Guerre mondiale ralentit ses opérations et ce n’est qu’en 1951 qu’il signe un accord de développement avec le constructeur allemand NSU. Il faudra attendre le Salon de l’auto de Francfort 1963 pour qu’apparaisse le premier modèle équipé d’un moteur rotatif Wankel : la NSU Spider. À partir de 1961, plusieurs constructeurs vont acquérir la licence Wankel : Mercedes-Benz, Alfa Romeo, Rolls-Royce, Citroën, Nissan, General Motors, Toyota ou Ford. Peu d’entre eux arriveront cependant à avoir un moteur fonctionnel et encore moins un véhicule roulant. Et puis, il y a Mazda, qui est l’un des premiers à s’intéresser à la technologie. La marque va commercialiser son premier modèle à moteur rotatif en 1967, la Cosmo.

Photo: Mazda

Un moteur fantastique… en théorie

Dans son principe, le moteur à piston rotatif utilise un rotor de forme triangulaire. Chacune de ses arêtes définit une chambre de combustion. Les conduits d’admission et d’échappement se trouvent au niveau du stator (la pièce oblongue sur la photo ci-dessous). Le cycle de combustion est un 4 temps classique : admission, compression, explosion, détente. En tournant, le rotor entraîne un pignon denté et actionne le vilebrequin. Les avantages de ce moteur sont un nombre limité de pièces en mouvement, sa compacité et sa légèreté, une puissance élevée par rapport à la cylindrée et un niveau de vibrations réduit. Les inconvénients sont la difficulté d’assurer l’étanchéité au niveau des arêtes du rotor ce qui entraîne l’usure des joints et des problèmes de fiabilité, une dépollution difficile, un faible couple et une consommation d’essence et d’huile plus importante.

Photo: Mazda

Tous les constructeurs vont rencontrer des problèmes de développement. General Motors devait installer un rotatif sous le capot de la Chevrolet Monza, présentée au millésime 1975, et fournir ce moteur à AMC pour sa Gremlin. Courant 1973, il devint évident que le moteur ne serait pas prêt et les deux autos vont finalement sortir avec des mécaniques conventionnelles. Puis le premier choc pétrolier d’octobre 1973 va sceller le sort du moteur Wankel. GM annoncera officiellement qu’elle renonce à développer le moteur à piston rotatif le 24 septembre 1974. Et d’ailleurs tout le monde renoncera. Tout le monde sauf… Mazda!

Ne rien lâcher à la concurrence!

La marque basée à Hiroshima croit dur comme fer au Wankel. C’est bien simple, elle en met partout! Dans des autos compactes, intermédiaires, des coupés sport et même des pickups (le REPU pour Rotary Engine Pick Up, commercialisé en Amérique du Nord de 1974 à 1977, voir photo ci-dessous) ou des bus (le Parkway 26 places)!

Photo: Mazda

Mazda aimerait bien aussi en installer un dans une berline statutaire mais elle n’a rien dans sa gamme et n’a pas les moyens d’en développer une car la conception du rotatif a demandé beaucoup de ressources. Les concurrents ont de tels modèles, dits de catégorie 3 au Japon par rapport à la taxation en fonction des dimensions, dans leurs catalogues : Nissan President, Toyota Century ou Mitsubishi Debonair. Et Mazda veut sa « catégorie 3 »!

La filière australienne

Entre alors en jeu Holden, une marque australienne appartenant à GM depuis 1931. Fondée en 1856 comme fabricant de sellerie, elle tourne ses activités vers l’automobile en 1908. C’est elle qui construira en 1948 la première voiture spécifiquement conçue pour l’Australie, la 48-215. Holden vient de présenter en 1971 la série HQ (les Australiens n’utilisent pas la notion de millésime pour différencier leurs autos mais plutôt celles de séries, généralement désignées par 2 lettres, qui peuvent être sur le marché plus de 12 mois).

Il s’agit d’un redesign complet. Équivalent des modèles pleine grandeur en Amérique du Nord, la HQ est déclinée en de nombreuses carrosseries (4 portes, familiale, coupé, pickup ute, fourgonnette et châssis cabine) ainsi qu’en de multiples versions (Belmont, Kingswood, Premier, Statesman et Monaro). Elle fait appel à des 6 cylindres en ligne ou des V8. La HQ sera un véritable succès commercial pour Holden qui en produira la dernière variante en 1985. Elle sera restylée en série HJ en octobre 1974 (photo ci-dessous) et en HX en juillet 1976.

Photo: Holden

Pourquoi Mazda s’est-elle retrouvée en négociations avec Holden alors que la marque est déjà partenaire avec Ford (notamment avec la camionnette compacte B-Series vendue sous le nom de Courier en Amérique du Nord de 1972 à 1982) et qui produit en Australie des modèles similaires à ceux de Holden? On ne sait pas. Toujours est-il que c’est le modèle Premier HJ, version la mieux équipée sur l’empattement de base de 2 830 mm, qui est sélectionné.

Il est à noter qu’une autre Holden, la Statesman plus luxueuse et reposant sur un empattement allongé, est déjà commercialisée au Japon par Isuzu depuis 1973 (elle ne réalisera que 246 ventes jusqu’en 1976). Pour Mazda, la Premier a les bonnes dimensions et, surtout, un volant du bon côté de la route (à droite), ce qui va drastiquement couper les frais de développement.

Photo: Mazda

Pour transformer la Premier en Roadpacer, Mazda va remplacer le 6 cylindres 3,3 litres de base de la Holden par son moteur rotatif à 2 rotors 13B de 1,3 litre développant 133 chevaux à 6 000 tr/min et 137 lb-pi à 4 000 tr/min. La boîte de vitesses australienne est substituée par une automatique à 3 rapports fournie par Jatco (une coentreprise entre Nissan, Ford et Mazda).

Photo: Mazda

La marque japonaise va également modifier la suspension arrière, installer son faisceau électrique maison (permettant d’ajouter des équipements comme un verrouillage automatique des portes passé 10 km/h, un avertisseur de vitesse passé 90 km/h, un dictaphone et un système audio pouvant également être commandé depuis les places arrière) et monter ses propres sièges avec une sellerie en velours.

Photo: Mazda

Les autos sont livrées en CKD (pour Complete Knock Down, ensemble de pièces prêt à assembler) depuis l’Australie puis assemblées et peintes chez Mazda.

Tout pour plaire…

La Mazda Roadpacer AP (pour Anti Pollution, ce sera le premier modèle de catégorie 3 à passer les normes de pollution japonaises de 1975) est annoncée le 17 mars 1975 et commercialisée le 1er avril 1975. Mazda espère alors en écouler une centaine par mois. Cette auto, nom de code RA13-S, est offerte en deux configurations : 5 places (sièges baquets à l’avant et console centrale) ou 6 places (banquette à l’avant).

Photo: Mazda

Elle est dotée d’une suspension indépendante à l’avant, d’un essieu rigide à l’arrière, de ressorts hélicoïdaux aux 4 roues et d’un combo disques avant/tambours arrière pour les freins. La Roadpacer AP est effectivement grosse pour les standards japonais (voir dimensions ci-dessous) et entre définitivement dans la catégorie 3.

Empattement

2 830

Longueur

4 850

Largeur

1 885

Hauteur

1 465

Voie avant

1 530

Voie arrière

1 530

Poids

1 565

Dimensions en mm, poids en kg

Elle est aussi très chère à 3,835 millions de Yens. En utilisant le taux de change de 1975, cela correspond à 13 143 CAD. Pour référence, une Cadillac DeVille 4 portes coûte à l’époque 10 521 CAD. Mais ce ne sont pas les seuls freins à son succès commercial. La Roadpacer AP est également lente : vitesse de pointe de 165 km/h et reprises anémiques (qu’attendiez-vous d’un moteur de 133 chevaux dans une auto de 1,6 tonne avec une boîte 3 rapports?). Elle est enfin très énergivore : plusieurs rapports parlent d’une consommation de 9 mpg, soit 26 L/100 km, en moyenne.

Photo: Mazda

C’est alors sans surprise que la Roadpacer AP sera un échec cuisant avec juste 800 exemplaires produits en 3 ans (voir tableau ci-dessous). Ce sont essentiellement des administrations et des cadres de Mazda qui en seront les acheteurs.

Année calendaire

Production

Ventes

1975

491

399

1976

183

240

1977

126

119

1978

36

1979

5

Total

800

799

Pourtant, comme tout bon flop qui se respecte, la Roadpacer AP a aujourd’hui acquis une sorte de statut culte dans la région Asie-Pacifique. Malgré une production limitée et l’usure du temps, il est encore possible d’en dégoter quelques-unes dans des enchères (bonne chance pour trouver les pièces spécifiques!).

Photo: Mazda

Plusieurs l’appellent la seule GM jamais construite avec un moteur rotatif. Bon, techniquement, ça reste quand même une Mazda. Allez, OK, on chipote…

À voir aussi : Antoine Joubert présente la brochure de la Mazda RX-7 1993

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