Schacht, une marque oubliée depuis longtemps

Les débuts de l’automobile ont été marqués d’échecs grandioses. En fait, dans cette aventure débutante, bien peu d’entreprises ont vraiment su tirer leur épingle du jeu. Si aujourd’hui automobile mondiale se montre plutôt stable, il ne faut pas oublier que vers la fin XIX ième siècle et au début du XX ième siècle, cette industrie ne possédait aucune structure, autant financière qu’organisationnelle. Il fallait être un peu fou (beaucoup devrais-je dire…) vers les années 1890 pour se lancer dans l’automobile, cette chose laide, bruyante, puante, qui effrayait les chevaux et qui faisait tellement peur aux vaches qu’elles ne donnaient plus de lait!  Les forgerons déclaraient faillite et les femmes pouvaient désormais aller où bon leur semblait… De plus, ça pouvait vous laisser tomber au milieu de nulle part tandis que le bon « team » de chevaux avait fait ses preuves depuis longtemps… N’empêche! Plusieurs s’y sont essayés, beaucoup s’y sont cassé la gueule, autant au sens propre qu’au sens figuré! La complexité mécanique n’ayant pas encore été découverte, n’importe qui pouvait s’adonner à la construction de la voiture sans chevaux ou « horseless carriage » (toute voiture construite avant le premier janvier 1916 répond à cette définition). Et qui dit n’importe qui, dit aussi, souvent, n’importe quoi!

En 1899, une trentaine de constructeurs d’automobiles sont répertoriés à travers les États-Unis et ils produisent environ 2 500 véhicules. Trois années plus tard, pas moins de cinquante nouvelles entreprises automobiles ont vu le jour. Entre 1904 et 1908, on en retrouve au moins 240. En 1907, 4 300 voitures sortent des usines américaines. Et on ne parle ici que de la production américaine, détrônée, à l’époque, par les Européens, tout ça pour vous dire que la plupart de ces firmes ne tiendront pas le coup. Souvent, elles n’ont construit qu’un seul exemplaire, deux si les capitaux et l’intérêt y étaient encore…

En voulez-vous des marques disparues?

Qui se souvient des Baldner (1902 – 1903, États-Unis), Black Crow (1907 – 1911, États-Unis), Carlton (1901- 1902, Angleterre), Dawson (1904, États-Unis), Dual & Turconi (1899 – 1901, Italie), Eclipse (vapeur, 1902 – 1903, États-Unis), Forman (1904, Angleterre), Foss Mobile (1897, Canada, Sherbrooke – objet d’une future chronique!), Gas – Au- Lec (1905 – 1907, États-Unis), Highgate (1903 – 1904, Angleterre), Jungner (1900, Suède), Kunz (1901 – 1902, États-Unis), Mantovani (1903 – 1906, Italie), Olsson (1903, Suède), Shelby (1902 – 1903, États-Unis… non, ce n’est pas l’entreprise de Carroll Shelby!), Vincke (1900 – 1901, Belgique), Vivinus (1900, Belgique), Ward Leonard (1902 – 1903, États-Unis)? Et il y en a tellement d’autres! Vous pouvez consulter http://members.chello.nl/j.baartse/cars/ On y retrouve le nom de plusieurs autres marques, de toutes les années (même si certaines semblent plus ou moins exactes) et de toutes les nationalités. Certaines, heureusement, sont encore en activité ou, au moins, le sont demeurés un bon bout de temps.

Pour illustrer une marque disparue et oubliée, il est difficile de trouver mieux que la Schacht 1906 que nous vous présentons aujourd’hui! Lorsque nous l’avons photographié, en octobre 2004 pour les besoins d’un reportage dans le magazine Le Monde de l’auto (devenu Le Guide de l’auto édition magazine), elle appartenait à la famille Legault de Longueuil. Je ne sais pas ce que cette voiture est devenue.

L’auto des frères Schacht

Des Schacht, il  en reste sans doute bien peu en Amérique du Nord malgré la relative réussite de l’entreprise qui a tout de même construit environ 8 000 voitures durant son existence. Schacht (prononcez « chatte » en français ou « Skat », en anglais) est fondée en 1904 par les frères William et Gustave A. Schacht (habituellement, en ces temps-là, le ou les fondateurs donnaient leur nom à leur création). Les frères, habitant Cincinnati (Ohio), fabriquent déjà des carrioles et décident, en ces débuts de la motorisation, d’installer un moteur d’un cylindre de dix chevaux sur une de leurs carrioles. Comme beaucoup de leurs contemporains, leur premier véhicule moteur n’est donc qu’une carriole plus ou moins efficace contre les intempéries, avec son réservoir d’essence placé juste sous le siège et ses roues en bois. Ces grandes roues donnent d’ailleurs à l’engin l’appellation « high-wheeler » et conviennent parfaitement aux routes de l’époque, extrêmement mauvaises (presque aussi pire que certaines rues de Montréal en 2010!) Particularité intéressante, la Schacht est munie d’un volant et non d’une « queue de vache » (une tige surmontée d’un guidon) qui actionne la direction comme c’est la pratique au début du siècle dernier. Il n’est pas long que l’entreprise s’attire une clientèle fidèle provenant majoritairement du sud de l’Ohio et de l’Indiana ainsi que du nord du Kentucky (il faut aussi savoir que la grande majorité des marques dessert un marché régional, au mieux!)

Au début de la « production » de la Schacht, en 1904, seul un moteur deux cylindres est proposé. Dès l’année suivante, on ajoute un moteur quatre cylindres de trente chevaux au catalogue. Puis, en 1906, la puissance est « poussée » à quarante chevaux. À partir de 1907, Schacht commence à se prendre au sérieux (!) et renomme « H » son modèle deux cylindres et « B » pour le quatre cylindres. Puis, arrive 1908. Un certain Henry Ford lance son modèle T et William Crapo Durant unit Oldsmobile et Buick pour former la General Motors. Les frères Schacht, avec leur H et B aux allures vieillissantes, ne possèdent pas les fonds nécessaires pour développer un nouveau modèle et l’entreprise périclite lentement mais surement.  Mais n’enterrons pas tout de suite les vivants!

L’aventure Indianapolis

En 1908, malgré tout, Schacht introduit le modèle K, « propulsé » par un deux cylindres de douze chevaux, une amélioration de 20% comparativement à l’ancien! Quant au quatre cylindres, il n’est plus offert. Les années suivantes, dans une escalade de puissance, ce moteur passe à 20 chevaux, puis à 24. Le quatre cylindres revient en 1911. Cette année marque aussi le début d’une belle aventure, les 500 Miles d’Indianapolis.  Schacht y est et termine au 26ième rang après être parti de la 37ième position. L’année suivante, Bill Endicott amène sa Schacht de la 15ième à la 5ième place, réussissant ainsi à parcourir la distance totale, ce qui demeure un exploit en soi! En 1913, la voiture ne fera par contre qu’un seul tour, victime d’un bris d’arbre de transmission.

L’exploit de 1912 est cependant assombri par de gros nuages… Schacht investit beaucoup d’argent pour devenir un manufacturier national plutôt que local mais les résultats se font attendre et 1913 sera la dernière année de production automobile. Dès l’année suivante, Schacht devient G.A. Schacht Motor Truck Cie. L’entreprise fabriquera des camions de transport et des camions de pompiers jusqu’en mars 1940 avant de définitivement fermer ses portes. Quant aux restes de la partie automobile, ils sont vendus, dès 1914, à Willys-Overland et la production se trouve à… Hamilton, près de Toronto!!!
La marque Schacht, comme tant d’autres, a peut-être fait long feu mais les quelques exemplaires survivants nous rappellent ces temps héroïques où tout était possible… et impossible!

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