Le tragique destin du Chrysler Norseman

Presque personne n’a pu le voir en vrai. Et pourtant, le Chrysler Norseman est l’un des véhicules concepts les plus fameux de l’histoire, grâce à son destin tragique.

Voici son histoire.

Une collaboration fructueuse

Véhicule concept… Virgil Exner (1909-1973), alors directeur du design de Chrysler, n’aimait pas trop cette expression. Il préférait le terme « voiture idée ». À son arrivée chez Chrysler en 1949, après être passé chez Pontiac et Studebaker, Exner a eu du pain sur la planche.

Les Chrysler d’après-guerre sont terriblement conservatrices en termes de design. Pour secouer les choses, il est décidé de développer les fameuses « voitures idées ». La première est la Plymouth XX-500. Pas spécialement belle, elle attire pourtant l’intérêt des dirigeants de Chrysler par sa qualité de fabrication et son faible coût de construction. Elle est réalisée par Ghia, un carrossier italien de Turin. C’est le début d’une collaboration fructueuse qui produira de nombreux concepts tout au long des années 50. C’est aussi le début d’une forte amitié entre Virgil Exner et Luigi Segre, le patron de Ghia.

Vision panoramique

Le travail sur le Chrysler Norseman commence dès 1953. Exner est à la recherche de la visibilité optimale et envisage une auto sans montants de pare-brise.

L’idée est d’utiliser un toit en porte-à-faux entièrement supporté par le montant arrière. Les plans finaux du Norseman (en hommage aux origines nordiques d’Exner) sont envoyés chez Ghia pour sa construction au printemps 1955. À l’avant, on ne trouve alors que quatre petites tiges pour tenir le toit en place. L’idée est que, en cas d’accident, les tiges cassent et que le toit se remonte, un peu à la façon d’un ressort, protégeant ainsi les occupants en cas de retournement.

Photo: Chrysler

Pas dans les délais…

Les carrossiers de Ghia travaillent 15 mois sur l’auto. Car, contrairement à d’autres compagnies, les concepts réalisés par Ghia pour Chrysler sont roulants, ce qui rend la tâche plus complexe.

Le Norseman repose sur un châssis de 129 pouces d’empattement, similaire aux futurs modèles 57, et embarque un V8 Hemi de 331 pouces cubes développant 235 chevaux, couplé à une transmission automatique PowerFlite 2 rapports à commande par boutons poussoirs.

En dessous, l’auto est complètement carénée. Les lignes fluides, dues à Cliff Voss, se passent des ornementations habituelles et sont complémentées par des phares escamotables. Le pare-brise antichoc a été développé par la compagnie PPG. La vitre arrière peut glisser dans le toit pour aérer l’habitacle. Les panneaux de carrosserie en aluminium sont peints en deux tons de vert (il y a controverse sur ce sujet car il n’existe que de rares photos en noir et blanc, prise par Ghia avant l’expédition en Amérique, et certains témoignages diffèrent) et le toit est blanc.

À l’intérieur, les 4 sièges baquets sont recouverts de cuir. C’est un véhicule luxueux que Ghia a mis 50 000 heures à construire.

L’auto est livrée au port de Gênes avec du retard. Luigi Segre doit alors trouver un autre bateau pour l’envoyer à Detroit. Ce sera le S.S. Andrea Doria.

Dans le brouillard

Le Norseman est embarqué sur l’Andrea Doria le 17 juillet 1956 et commence sa croisière transatlantique. Le 25 juillet, au large des côtes du Massachusetts, c’est le drame.

Ce jour-là, le brouillard est très épais. Tout l’équipage est en alerte. Au radar, vers 10 heures 30, on aperçoit un autre vaisseau, le Stockholm, qui venait de quitter New York pour rejoindre Göteborg, en Suède. Les signaux d’alerte sont émis et il semble dans un premier temps que les deux bateaux vont s’éviter sans problèmes.

Malheureusement, il apparaît que l’équipage du Stockholm avait mal calculé ses distances au radar et le navire suédois empale l’Andrea Doria sur le côté, déchirant 3 des 11 caissons étanches de ce dernier. L’Andrea Doria mettra 11 heures à couler, permettant ainsi d’organiser les secours. Malheureusement, 51 personnes perdront la vie ce jour-là, essentiellement au moment de l’impact. L’Andrea Doria et le Norseman reposent maintenant à environ 250 pieds sous la surface.

Photo: Chrysler

Dans son lit

Virgil Exner n’apprend pas la nouvelle immédiatement . En effet, la veille de l’accident, il venait de faire une crise cardiaque massive et le diagnostic n’était pas encourageant. Ce n’est que quelques jours plus tard, alors que son état s’est stabilisé, que les dirigeants de Chrysler l’informent.

Moins choqué par la disparition de l’auto que par les vies perdues, Exner dira à la blague que l’auto allait passer à la légende. Il faut dire que le destin du Norseman n’était de toute façon pas radieux. Il était prévu, après le tour des salons, qu’il subisse un test de collision pour valider la résistance du toit. Exner ne tentera pas de la refaire car, selon ses propres dires, dès qu’un concept est fini de construire, il est déjà dépassé. Chrysler touchera son chèque d’assurance (près de 150 000 dollars), après avoir émis un laconique communiqué de presse.

La légende continue

L’histoire ne s’arrête pas là. Plusieurs plongeurs ont perdu la vie en allant explorer l’épave, l’Andrea Doria étant réputé comme le « Mont Everest » dans les milieux de la plongée.

Certains ont pu remonter des œuvres d’art au début des années 90. En 1994, le plongeur David Bright expliquera avoir vu les restes du Norseman. En effet, le véhicule n’était pas placé dans la section garage du bateau mais dans la section cargo, dans une caisse en bois, facilitant son identification. L’auto était alors presque totalement désintégrée. Aujourd’hui, il ne doit plus rester que les pneus…

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