Ghosn, de nouveau en garde à vue, dénonce une « arrestation révoltante »

Carlos Ghosn a été interpellé jeudi matin à son domicile de Tokyo sur de nouveaux soupçons de malversations financières, un mois à peine après avoir été libéré sous caution, une arrestation qu’il a jugée « révoltante et arbitraire ».

Les enquêteurs du bureau des procureurs se sont rendus au petit matin à son immeuble devant lequel une tenture grise avait été dressée, selon des images diffusées sur les chaînes de télévision japonaises.

Une voiture a quitté les lieux moins d’une heure plus tard, d’après le direct diffusé sur la chaîne Nippon TV. Selon cette télévision privée, M. Ghosn était à bord. Il a été plus tard conduit au centre de détention de Kosuge (nord de la capitale).

Il est « extrêmement rare » qu’un suspect soit ré-arrêté après avoir été relâché, soulignaient les médias locaux.

Sa libération le 6 mars, moyennant le paiement d’une caution d’un milliard de yens (8 millions d’euros), avait déjà surpris. Par le passé, des détentions pour des cas similaires avaient duré beaucoup plus longtemps mais l’affaire Ghosn, de par la notoriété du suspect, a jeté une lumière crue sur le système judiciaire japonais, soulevant des critiques à l’étranger.

« Manœuvre de Nissan »

« Pourquoi venir m’arrêter alors que je n’entravais en rien la procédure en cours, sinon pour me briser ? », a lancé le magnat de l’automobile déchu dans un communiqué transmis à l’AFP et probablement rédigé au préalable. Et d’ajouter : « Je suis innocent de toutes les accusations infondées portées contre moi et des faits qui me sont reprochés ».

Cette arrestation « fait partie d’une nouvelle manœuvre de certains individus chez Nissan qui vise à m’empêcher de me défendre en manipulant les procureurs », a-t-il accusé, reprenant le thème du « complot » brandi dans de précédentes interviews accordées en prison.

Son avocat Junichiro Hironaka s’est lui aussi insurgé contre les méthodes du parquet : « Nous ne comprenons pas pourquoi ils ont besoin de le placer en détention. (...) C’est extrêmement injuste ». Le défenseur tiendra un point de presse à 15 h 15 heure de Tokyo (6 h 15 GMT).

Ce nouveau rebondissement dans un interminable feuilleton, qui s’est ouvert le 19 novembre avec l’arrestation surprise de celui qui était alors le tout-puissant PDG de l’alliance automobile Renault-Nissan-Mitsubishi Motors, intervient alors même qu’il avait décidé de prendre la parole pour la première fois depuis sa sortie de prison.

M. Ghosn, 65 ans, avait annoncé mercredi via Twitter, de façon impromptue, qu’il s’exprimerait devant la presse le 11 avril.

« Je me tiens prêt à dire la vérité à propos de ce qui se passe. Conférence de presse jeudi 11 avril », avait-il écrit dans un court message sur un compte certifié, qui, selon une porte-parole, est administré par ses avocats.

« Procès équitable »

Déjà sous le coup de trois inculpations pour déclarations inexactes de revenus sur les années 2010 à 2018, dans des documents remis par Nissan aux autorités financières, et pour abus de confiance, M. Ghosn est désormais sous la menace d’une quatrième mise en examen.

Le parquet le soupçonne d’avoir transféré des fonds de Nissan, pour un total de 15 millions de dollars entre fin 2015 et mi-2018, à une société « de facto contrôlée par lui ».

Sur cette somme, 5 millions ont été détournés, a précisé le bureau des procureurs dans un communiqué. « Le suspect a trahi sa fonction (de patron de Nissan) pour en tirer des bénéfices personnels », a-t-il souligné.

Selon une source proche du dossier, le procédé a débuté dès 2012, portant sur une somme totale de plus de 30 millions de dollars versée à un distributeur de véhicules Nissan à Oman, montants dont une partie lui serait revenue indirectement.

Il aurait notamment acheté un yacht et investi dans une société dirigée par son fils aux États-Unis.

Des flux financiers similaires ont été signalés la semaine dernière par Renault à la justice française, à l’issue d’une enquête interne du constructeur qui s’interroge aussi sur des dépenses opaques au sein de la filiale commune avec Nissan, RNBV, basée aux Pays-Bas.

Une enquête a déjà été ouverte sur le financement du mariage de Carlos Ghosn au château de Versailles en octobre 2016.

Au Japon, la date du procès n’a pas été fixée. Ses avocats ont déposé cette semaine une requête au tribunal pour que l’ex-patron soit jugé séparément de Nissan, qui, bien qu’étant aussi inculpé sur un des volets, « a pris depuis le début le parti des procureurs », selon Me Hironaka.

« Mon plus grand espoir aujourd’hui est de pouvoir bénéficier d’un procès équitable », a confié M. Ghosn.

Le dirigeant franco-libanais-brésilien espère être blanchi après avoir été dépouillé de la présidence des trois constructeurs qu’ils avaient unis et hissés au premier rang mondial.

Nissan, qui a encore une fois jeudi évoqué « des preuves substantielles d’un comportement ouvertement contraire à l’éthique », se prépare à tenir lundi une assemblée générale extraordinaire d’actionnaires. Le mandat d’administrateur de M. Ghosn devrait être révoqué, coupant tous ses liens avec l’entreprise qu’il a naguère sauvée de la faillite.

LES GRANDES ÉTAPES DE L’AFFAIRE CARLOS GHOSN

Arrestation

Le 19 novembre 2018, Carlos Ghosn est arrêté à l’atterrissage de son avion privé à Tokyo. Son bras droit Greg Kelly est lui aussi interpellé. Tous deux sont placés en garde à vue dans un centre de détention du nord de Tokyo.

Le dirigeant franco -libano-brésilien, aujourd’hui âgé de 65 ans, est soupçonné d’avoir omis de déclarer une grande partie de ses revenus aux autorités boursières pendant cinq ans, entre 2010 et 2015.

Le patron exécutif de Nissan, Hiroto Saikawa, fustigeant « le côté obscur » de l’ère Ghosn, affirme qu’il est soupçonné « de nombreuses autres malversations ».

Révoqué par Nissan et Mitsubishi

Le 20 novembre, le conseil d’administration (CA) de Renault confie « à titre provisoire » la direction exécutive du groupe à son numéro deux, Thierry Bolloré. Carlos Ghosn est révoqué de la présidence du CA de Nissan deux jours plus tard.

Les gouvernements français et japonais réaffirment leur soutien à l’alliance. Le 26 novembre, le CA de Mitsubishi Motors limoge M. Ghosn.

Première inculpation

Le 10 décembre, MM. Ghosn et Kelly sont inculpés pour dissimulation de revenus entre 2010 et 2015.

Le 13, le CA de Renault confirme Carlos Ghosn à son poste de PDG, arguant de la présomption d’innocence et jugeant sa rémunération française conforme à la loi.

Nouveau mandat d’arrêt

Le 21 décembre, M. Ghosn fait face à de nouvelles accusations : il est notamment soupçonné d’avoir tenté de faire couvrir par Nissan des pertes sur des investissements personnels lors de la crise économique de 2008, ce qu’il dément.

Greg Kelly est libéré sous caution le 25 décembre.

Comparution au tribunal

Le 8 janvier 2019, Carlos Ghosn comparaît pour la première fois à sa demande devant le tribunal de Tokyo. Amaigri, il affirme avoir été « faussement accusé et détenu de manière injuste ».

Le juge justifie sa garde à vue prolongée par un risque de fuite et d’altération des preuves.

Nouvelles inculpations, libération rejetée

Le 11 janvier, M. Ghosn est mis en examen pour abus de confiance et pour avoir minoré ses revenus dans des rapports boursiers de Nissan entre 2015 et 2018.

L’État français prend acte de cette nouvelle mise en examen et demande, le 16 janvier, la désignation d’un successeur à Carlos Ghosn.

Départ de Renault

Le 22 janvier, une demande de libération sous caution de M. Ghosn est rejetée. Le lendemain, celui-ci démissionne de la présidence de Renault.

Le CA du constructeur français intronise un tandem pour le remplacer : le patron de Michelin, Jean-Dominique Senard, prend la présidence et Thierry Bolloré la direction générale.

Interview depuis sa prison

Le 31 janvier, Carlos Ghosn répond pour la première fois depuis son arrestation à des journalistes de médias non japonais. « On m’a refusé la libération sous caution, ce ne serait normal dans aucune autre démocratie du monde », dit-il à l’AFP et aux Échos depuis sa prison, dénonçant « un complot » ourdi par Nissan pour empêcher un projet d’intégration plus poussée avec Renault.

« Bénéfice personnel » à Versailles

Le 7 février, Renault annonce signaler à la justice française que son ancien patron a reçu pour son « bénéfice personnel » — l’organisation de son mariage en octobre 2016 — un avantage en nature d’une valeur de 50.000 euros dans le cadre d’une convention de mécénat signée avec le Château de Versailles en 2016.

Le 11 mars, le parquet de Nanterre, en région parisienne, ouvre une enquête préliminaire.

Démission de son principal avocat

Le 13 février, le principal avocat de Carlos Ghosn, un ancien procureur, annonce se retirer du dossier. Il est remplacé par l’avocat vétéran Junichiro Hironaka, surnommé « l’innocenteur ».

Libération sous caution

Le 5 mars, un juge accepte la libération de l’ex-PDG sous caution d’un milliard de yens (8 millions d’euros) et sous strict contrôle judiciaire avec entre autres interdiction de quitter le Japon. Carlos Ghosn est libéré le lendemain.

« Nouveau départ » pour l’alliance

Le 12 mars, les nouveaux dirigeants de Renault et Nissan annoncent la création d’un nouveau « conseil opérationnel » pour coordonner l’Alliance (comprenant aussi Mitsubishi Motors), tournant ainsi la page de l’ère Ghosn.

Nouvelles transactions « suspectes », Ghosn réarrêté

Fin mars Renault signale à la justice plusieurs millions d’euros de paiements suspects, via la société distribuant les véhicules du groupe à Oman.

Le 4 avril, le parquet japonais arrête de nouveau M. Ghosn à son domicile temporaire de Tokyo. Des flux similaires ont été détectés chez Nissan « pour le bénéfice personnel » du magnat de l’automobile, justifient les procureurs.

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