Ford Ranchero GT 1971, le meilleur de deux mondes

Des modes, l’automobile en a connu! Les voitures à vapeur au début des années 1900, les woodies, des voitures dotées d’éléments en bois (Chrysler Town & Country 1948, par exemple) ou les muscle cars, des voitures suprapuissantes (Ford Mustang Mach 1 1969, Chevrolet Camaro SS 1967, Dodge Challenger 1970, etc.). Il y a eu l’époque « supersonique » alors que le style des voitures reprenait des éléments de l’aviation tant au chapitre des ailes arrière que du tableau de bord (Cadillac 1959, Dodge Custom Royal 1959), il y a eu la période du downsizing alors que les Américains réduisaient la taille de leurs voitures (Monte Carlo 1978). Il y a eu aussi, la période des sedan-pickup, des autos-camionnettes souvent identifiées, à tort, sous le vocable El Camino. Les El Camino furent effectivement des voitures-camionnettes mais elles ne furent pas les seules, ni même les premières.

L’idée d’installer une boite de camion sur la partie arrière d’une automobile devait aller de soi puisque, dès les débuts de la production de véhicules sans chevaux au tournant du siècle dernier, l’automobile et la camionnette se partagent le marché. Dès 1914, Ford propose aux acheteurs un Model T Roadster-pickup qui retient plusieurs éléments de ce qu’allaient devenir les autos-camionnettes de demain. Un des éléments clés de ces véhicules si particuliers est qu’il s’agit d’automobiles auxquelles on a greffé une boite de camionnette et non l’inverse. On obtient donc une auto dotée d’un côté utilitaire plutôt qu’une camionnette du dimanche.

Au pays des kangourous

L’histoire des voitures-camionnettes débute officiellement en Australie durant les années 30. À la suite du krach boursier d’octobre 1929, l’économie mondiale s’effondre. Plusieurs fermiers australiens (et bien d’autres à travers le monde!) ont de la difficulté à joindre les deux bouts. Selon certaines sources, l’épouse d’un agriculteur, fatiguée d’aller à l’église dans la camionnette de travail, aurait demandé à Ford de dessiner un modèle qui puisse remplir les deux missions tout en étant économique à l’achat et à l’usage. De plus, en combinant loisirs et utilité, les fermiers pourraient posséder un seul véhicule plutôt que deux, ce qui entrainait de belles économies. Lewis T. Bandt, designer en chef de Ford Australie aime l’idée et dès 1934, Ford dévoile la première des autos-camionnette, le V8 Model 302 Ute (Ute est l’abréviation de utility). Pour y parvenir, il utilise un 5 window passenger coupe (coupé à cinq vitres) et, au lieu  du coffre, y place une boite ouverte. La principale particularité se trouve dans l’absence de jonction entre la cabine et la boite de chargement contrairement à une camionnette traditionnelle. 

Le succès est immédiat. À tel point que General Motors, aussi très présent en Australie par l’entremise de sa filiale Holden, imite son éternel rival en créant le GM-H Ute basé sur un Chevrolet 1934 importé des États-Unis et modifié sur place. Il faut attendre 1948 pour voir un Ute General Motors dessiné et fabriqué en Australie. Il s’agit du Holden 215.

Jusque dans les années 60, les Ute s’avèrent très populaires au pays des kangourous. Plusieurs manufacturiers y vont de leur interprétation mais l’arrivée des camionnettes japonaises de petit format vient mettre un terme, ou presque, à l’histoire des Utes australiens. Seuls Ford et Holden résistent à l’envahisseur nippon.

Au pays de l’oncle Sam

Aux États-Unis, durant les années 30 et 40, plusieurs constructeurs proposent aussi un tel modèle utilitaire. Il s’agit surtout de manufacturiers marginaux qui n’ont souvent que l’originalité pour se démarquer. Hudson, Studebaker, Crosley, entre autres. En 1955, Chevrolet présente un pickup de facture particulière, le Cameo. S’il ne s’agit pas d’une auto-camionnette, son style sportif fait mal paraitre la compétition. Et ça agace Ford qui n’a rien pour contrer l’ennemi en terrain nord-américain…

Est-ce que le Cameo est à l’origine d’une nouvelle mode? Sans doute. Quoi qu’il en soit, au Salon de l’auto de New York 1957, Ford présente son Ranchero 1957. Il s’agit d’une familiale Fairlaine Ranch Wagon dont on a modifié la partie arrière pour qu’elle puisse accepter une boite de camionnette. Le nom Ranchero pourrait se traduire par « homme possédant une grande terre », ce qui ne manque pas de plaire aux nombreux Hispaniques qui occupent d’importantes superficies de terres agricoles dans le sud des États-Unis. Le Ranchero crée une nouvelle mode et envahit aussitôt le pays de l’Oncle Sam. Les surfeurs californiens, entre autres, adoptent ce nouveau type de véhicule, tout comme les Australiens l’ont fait quelques décennies auparavant.

Il faut se rappeler qu’à l’époque, les automobiles sont construites sur des châssis indépendants, comme les camionnettes. Le Ranchero, lui, est bâti sur le châssis de la Ford Fairlaine, une automobile pleine grandeur. Le nouveau modèle est apprécié car, en plus de s’avérer utile, il s’agit, selon l’avis de plusieurs, d’un très beau pickup! En 1960, Ford décide de construire son Ranchero sur le châssis de la Falcon, beaucoup plus petite que la Fairlaine, question de ne pas nuire aux ventes des camionnettes de série F (qui deviendront, un jour, des F150). En 1967, le Ranchero revient à ses racines et reprend le châssis de la Fairlaine. Faut croire que la popularité des camions série F pouvait désormais s’accommoder d’une telle rivalité… À partir de 1970, la gamme Fairlane se scinde et le nom Torino est associé à une série à part entière. Le Ranchero 1970 et 1971 est donc basé sur la Torino avec laquelle il partage la plupart de ses éléments mécaniques.

Pour déménager vite, vite, vite

À ce moment, la mode des muscle cars fait rage. Ford n’allait pas laisser passer l’occasion et, à l’instar de tous ses autres modèles, le Ranchero connait sa part de chevaux. Le Ranchero GT 1971 de Richard Glazer de Longueuil est un bel exemple de cette surenchère de puissance. Ce superbe véhicule abrite un moteur 429 Cobra Jet de 370 chevaux et serait le seul en circulation au Québec selon son propriétaire. D’ailleurs, seulement 94 Ranchero équipés d’un tel moteur auraient été fabriqués. Les Ranchero 1971 sont basés sur la nouvelle Ford Torino, tout comme le modèle 1970. Les deux modèles partagent également leur mécanique.

Cette auto-camionnette provient du Nevada où elle avait déjà servi sur une ferme de Las Vegas. Quand l’actuel propriétaire en a fait l’acquisition, il appartenait à un Texan qui possédait une dizaine d’autres Ranchero! Quant à Richard Glazer, il a eu au moins six Torino 1970 ou 1971.
L’histoire des Ranchero continue jusqu’en 1979 alors que les mesures antipollution devenues trop sévères forcent Ford à se retirer de ce marché somme toute marginal. Mais GM poursuit la production de son célèbre El Camino. Apparu en 1959, en réponse au Ranchero de Ford, le El Camino (curieusement, ce nom espagnol ne veut pas dire « camion » mais plutôt «  la voie ou le chemin ») connait, lui aussi, un succès immédiat. Tout comme le Ranchero, le El Camino emprunte, au cours des années, le style de plusieurs automobiles différentes. En 1987, cependant, Chevrolet doit se résigner à cesser la production de ce véhicule.

Vers un retour de la voiture-camionnette?

Durant les dernières décennies, plusieurs constructeurs ont tenté d’exploiter le marché de l’auto-camionnette avec plus ou moins de succès, moins dans la plupart des cas! On se souvient du Dodge Rampage, une traction (roues avant motrices!) et des Subaru Brat et Baja. Même s’ils sont beaucoup plus près de la camionnette pure et dure que de l’automobile, les Honda Ridgeline et Chevrolet Avalanche reprennent plusieurs éléments visuels chers aux autos-camionnettes, entre autres l’absence de joint entre la partie avant et la boite de chargement. À quand une auto-camionnette vendue chez nous?

Cet article a déjà été publié dans le magazine le Monde de l’auto (devenu le Guide de l’auto édition magazine) de septembre-octobre 2007

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